14 octobre 2021 - Alexandra Charvet

 

Événements

«Il n’y avait pas de stratégie à long terme»

Spécialiste de l’islam politique, Olivier Roy sera l’invité du Global Studies Institute, le 19 octobre prochain, pour la conférence d’ouverture du Master Moyen-Orient. Le politologue reviendra sur l’historique des interventions étrangères en Afghanistan et analysera les raisons qui ont conduit à l’échec du projet américain.

 

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Véhicules blindés. Gardez, Afghanistan. Image: T. Inness

 

LeJournal: La chute de Kaboul a mis les États-Unis sous le feu de la critique. Une autre stratégie pour l’Afghanistan aurait-elle dû être mise en place?
Olivier Roy:
C’est bien sûr difficile à dire, car il n’y avait pas de stratégie à long terme prévue quand les Américains sont intervenus militairement en octobre 2001: il s’agissait simplement de tuer Ben Laden et de renverser le régime taliban. La stratégie de «construction de l’État» a été improvisée et s’est ensuite développée selon une sorte de logique d’inertie. L’autre solution aurait été de quitter l’Afghanistan une fois les talibans vaincus, mais comme cela aurait sans doute déclenché une nouvelle guerre civile, on aurait alors reproché aux Américains d’être partis sans avoir fini le travail. Enfin, si les Américains avaient décidé de contrôler de plus près le gouvernement qu’ils avaient mis en place, il aurait fallu une politique de «contre-guérilla» et pas simplement de «guerre contre le terrorisme», ce qui aurait demandé plus de moyens et n’aurait pas manqué de déclencher une réaction nationaliste, y compris parmi les opposants aux talibans.

 

Des causes internes peuvent-elles être également évoquées pour expliquer l’échec que l’on constate aujourd’hui?
Les groupes politiques afghans anti-talibans ont leur part de responsabilité dans la mesure où ils n’ont pas pris les choses en main. Par ailleurs, le régime mis en place par les États-Unis a rapidement été gangrené par la corruption. Les vainqueurs de 2001 sont devenus des rentiers de l’aide américaine qui a été largement détournée. L’armée afghane , en particulier, n’existait que sur le papier, car les soldes étaient détournées à tous les échelons.

Les talibans parviendront-ils à installer un État crédible en Afghanistan?
C’est parfaitement possible. En 2001, ils y étaient parvenus sur une partie du territoire et n’ont été renversés que par une intervention extérieure. Ils ont tiré les leçons de cet échec. Mais ils ont besoin de la reconnaissance internationale pour avoir accès aux fonds déposés à l’étranger et à l’aide humanitaire, sans lesquels il sera difficile de relancer l’économie. Et pour cela, ils doivent donner des gages sur la non-exportation du radicalisme – ils s’y sont engagés – ainsi que sur la question des femmes. D’autre part, ils vont faire face à des tentatives de déstabilisation internes; il ne s’agira pas, en tout cas au début, de soulèvements régionaux – la population en a assez de quarante ans de guerre – mais de l’action de groupes plus extrémistes qu’eux, en particulier Daech, qui a déjà entrepris une série d’attentats aveugles. Paradoxalement, cette menace peut d’ailleurs convaincre les Américains de collaborer avec les talibans.

Peut-on garder un espoir au sujet de la place des femmes dans l’Afghanistan de demain?
Les talibans ne reviendront pas à leur politique de 1996-2001: les femmes devaient rester à la maison et ne pouvaient sortir qu’en burqa accompagnées d’un homme de leur famille. Ils se sont engagés sur le droit à l’instruction et sur l’accès aux soins. Surtout, ils sont confrontés, à Kaboul, à une société et à une culture très nouvelles: celles des nouvelles classes moyennes, éduquées et très réticentes au mode de vie imposé par les talibans. Or, ils ont besoin de cette catégorie de la population pour faire tourner le pays et ils devront donc faire des concessions par rapport à leurs attentes, ce qui est un fait nouveau. Il est cependant vrai qu’on peut craindre une régression par rapport au statut que les femmes des grandes villes ont acquis au cours des vingt dernières années. Tout l’enjeu pour les années à venir réside dans l’éducation (du primaire à l’université), l’accès aux soins (si les talibans rejettent la mixité, ils devront accepter un corps médical féminin, comme en Arabie saoudite), et enfin l’accès au travail (il y a beaucoup de femmes seules qui sont cheffes de famille). Les femmes resteront par contre sans doute exclues de l’appareil judiciaire et des responsabilités publiques. Quant à leur statut juridique, il ne faut pas oublier que, dans le régime précédent, elles étaient toujours considérées comme des éternelles mineures.

AFGHANISTAN, LES LEÇONS D’UN ÉCHEC

Conférence d'Olivier Roy, professeur à l’Institut universitaire européen de Florence – Robert Schuman Centre for Advanced Studies

Mardi 19 octobre | 18h30 | Uni Mail, MR380
Inscription obligatoire

UNIVERSITAIRES AFGHAN-ES EN EXIL

L'UNIGE se mobilise depuis longtemps déjà pour la population afghane au travers de son programme d'intégration Horizon académique. Depuis 2016, une cinquantaine d’étudiant-es  ont ainsi été accueilli-es au sein de l’institution, dont 17 pour l'année 2021-2022. Il est important que toutes ces personnes puissent rester durablement en Suisse. Par ailleurs, deux chercheurs et deux étudiantes seront accueillis prochainement, à travers le réseau de défense des universitaires en danger Scholars at Risk, dont l’UNIGE est membre depuis 2008. «Ces personnes arriveront en Suisse par le biais de contrats de travail ou de permis étudiants, précise Mathieu Crettenand, délégué à l’intégration à l’UNIGE. Le financement de leur séjour est assuré par des mécènes ou par le FNS grâce à son instrument "Scientific Exchanges".» Plusieurs facultés ont déjà annoncé être prêtes à recevoir d’autres chercheurs  et chercheuses afghan-es.

Début septembre, swissuniversities avait demandé au Conseil fédéral de mettre en place un quota de permis humanitaires d’urgence afin d’accueillir des universitaires particulièrement vulnérables, d’accélérer et de faciliter les procédures administratives d’immigration pour les universitaires afghan-es et de permettre aux étudiant-es afghane-es de poursuivre leur séjour au-delà de la validité actuelle de leur permis.


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