11 mars 2021 - Melina Tiphticoglou

 

Événements

Quand les enfants deviennent chercheurs/euses

À l’occasion de la parution d’un ouvrage collectif et de la tenue d’une série de conférences virtuelles sur le thème «La recherche centrée sur l’enfant», une équipe du CIDE revient sur une expérience de recherche participative menée avec des enfants co-chercheurs/euses.


 

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La participation des enfants et des jeunes dans les processus décisionnels qui les concernent ainsi que leur capacité à exprimer leur point de vue sur le sens de leur propre existence sont de plus en plus reconnues à l’échelle internationale. Sur le plan académique, l’enfant est désormais reconnu-e en tant qu’acteur/trice social-e et non plus strictement comme un objet de recherche, entraînant un véritable changement sur le plan épistémologique. Or, les travaux centrés sur l’enfant soulèvent certaines difficultés, de la conception des outils à la restitution des résultats, en passant par l’obtention de l’assentiment des personnes mineures. Alors que la question fait l’objet de nombreuses publications dans le monde anglo-saxon, peu d’outils existent en français pour guider les personnes intéressées par ce type de recherche.

 

L’ouvrage collectif «La recherche centrée sur l’enfant. Défis éthiques et innovations méthodologiques» qui paraît aux Presses de l‘Université de Laval témoigne d’une volonté d’étendre cette thématique au monde francophone. Dans la foulée de cette parution, une série de conférences virtuelles est organisée sur le sujet dès le 17 mars. Une équipe du Centre interfacultaire en droits de l’enfant (CIDE) de l’UNIGE et de la Haute école pédagogique du Valais (HEP-VS), composée de Sara Camponovo, Zoé Moody, Frédéric Darbellay, Ayuko Berchtold-Sedooka et Philip D. Jaffé, signe un chapitre de l’ouvrage qu’elle présentera à l’occasion de l’une des conférences du cycle, le 27 mai, intitulée «Les enfants comme co-chercheuses et co-chercheurs: leçons d’une recherche participative et transdisciplinaire». Les scientifiques reviendront sur la recherche participative «Sur le chemin de l’école» au cours de laquelle les acteurs et actrices de terrain, en l’occurrence les enfants, ont été impliqué-es dans le processus de recherche. «Dans ce type de projet, on ne fait pas seulement de la recherche “sur”, mais “avec” les enfants, explique Frédéric Darbellay, professeur à la Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation, responsable de la Cellule Inter- et Transdisciplinarité au sein du CIDE. Dès le départ, le chercheur ou la chercheuse co-construit son projet avec les partenaires. C’est une manière innovante de conduire des recherches qui est d’autant plus créative que nous donnons aux enfants une voix en tant qu’expert-es sur des problématiques qui les concernent.» On leur reconnaît en effet un certain nombre de savoirs et de compétences – savoir-être, savoir-faire, connaissances théoriques et pratiques – dont le milieu académique ne bénéficie pas forcément. En réunissant ces différents types de connaissances qui sont complémentaires, les scientifiques cherchent à avoir la vision la plus globale et transdisciplinaire possible de la problématique abordée.

Comment impliquer les partenaires de terrain
«La notion de recherche participative permet de revisiter une question éthique fondamentale: comment faire de la “bonne” recherche? complète Zoé Moody, collaboratrice scientifique au CIDE et professeure à la HEP-VS. En effet, si des travaux scientifiques permettent de faire avancer les savoirs sur l’objet en question, ils ne devraient pas avoir de conséquences négatives sur les participant-es, voire, dans l’idéal, avoir des retombées positives. Comment donc s’en assurer?»
Dans le projet de recherche «Sur le chemin de l’école», dont l’objectif est d’étudier ce qui se passe sur le chemin entre l’école et la maison du point de vue des enfants, un groupe de dix jeunes de 10 à 12 ans, désigné-es comme co-chercheurs/euses, a été formé. Il a participé à la finalisation des questions de recherche et des outils méthodologiques, à l’analyse des premières données, à l’interprétation des nouvelles données, et à la formulation de recommandations à l’intention des autorités politiques, directions scolaires et parents. «Ce sont les étapes d’un processus que l’on retrouve dans tout travail scientifique, ajoute Frédéric Darbellay. La différence est que l’on implique les partenaires de terrain qui nous aident à reformuler chacune de ses étapes. Cela peut nous amener à revoir la manière de conduire la recherche et il faut que le/la chercheur/euse accepte cette remise en question.» Travaillant dans une perspective non protectionniste de l‘enfance, des aspects de sécurité avaient, par exemple, été mis de côté. Les enfants ont amené les chercheurs/euses à reconsidérer cette dimension.

Bénéfices de part et d'autre
Comme toute recherche impliquant l’humain, celle-ci a été validée par une commission éthique. Une attention particulière a été portée à la question du consentement, en proposant des démarches qui soient adaptées à la compréhension des enfants. «On utilise beaucoup de pictogrammes, détaille Zoé Moody, et on présente très clairement ce qui va se passer. Un des enjeux est aussi de permettre aux enfants de comprendre qu’ils ne vont en principe pas bénéficier eux-mêmes des résultats, car le temps de la recherche est un temps long.» À chaque étape, les chercheurs/euses se sont également assuré-es du consentement des enfants, qui avaient la possibilité d’interrompre le processus à n’importe quel moment.
De plus en plus de travaux montrent les bénéfices de ce type de démarche en matière d’apprentissage et de confiance en soi, notamment. Pour Zoé Moody, «il y a aussi des bénéfices pour une population plus large. Dans notre cas, les enfants ont élaboré des recommandations qui ont été présentées aux autorités, aux directions d’école et aux parents lors d’une cérémonie. Cela a beaucoup valorisé leur travail. C’était aussi une façon de les inclure dans une communauté d’intérêts à laquelle elles et ils appartiennent.» La chercheuse imagine même que les enfants pourraient être impliqué-es dans des travaux de publication qui découlent de cette recherche et s’interroge sur la légitimité de publier sans elles et eux. Frédéric Darbellay ajoute: «Cela s’est déjà fait, mais reste très embryonnaire. On souhaiterait développer cet aspect, car les enfants ont de véritables compétences de chercheurs/euses et leur contribution devrait être reconnue, y compris en matière de publication. Mais cela implique de bousculer les codes académiques selon lesquels l’expertise “scientifique” demeure du seul ressort des chercheurs/euses reconnu-es dans un domaine spécialisé. Les normes de production et de publication scientifiques doivent évoluer pour aller vers des formes de publications plus inventives auxquelles les enfants pourraient être associé-es.»

 

LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L'ENFANT. DÉFIS ÉTHIQUES ET INNOVATIONS MÉTHODOLOGIQUES

Série de conférences virtuelles, du 17 mars au 17 novembre 2021

Dont, le jeudi 27 mai, «Les enfants comme co-chercheuses et co-chercheurs: leçons d’une recherche participative et transdisciplinaire»

Conférence de Sara Camponovo, Zoé Moody, Frédéric Darbellay, Ayuko Berchtold-Sedooka et Philip D. Jaffé

Plus d'infos

 

LA RECHERCHE CENTRÉE SUR L'ENFANT. DÉFIS ÉTHIQUES ET INNOVATIONS MÉTHODOLOGIQUES

Ouvrage collectif, sous la direction d’Isabel Côté, Kévin Lavoie, Renée-Pier Trottier-Cyr, Presses de l’Université Laval, 2020, 492 pages

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