Journal n°133

Le point de vue de l’archéologue

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Avant d’être restitué à la Turquie, le sarcophage sera présenté à l’UNIGE dans la Salle des moulages. Tout comme le professeur Renold, son homologue Lorenz Baumer, directeur de l’Unité d’archéologie classique, s’en réjouit: «Qu’un objet d’une si grande qualité soit enfin accessible au public est une excellente nouvelle.»

Sorti des ateliers de la cité antique de Dokimeion, dans l’actuelle région d’Antalya en Turquie, le sarcophage a été fabriqué à l’époque où Rome occupait tout le bassin méditerranéen, plus précisément au IIe siècle après J.-C. C’est le début de la période qui voit l’Empire romain produire en très grandes quantités ce type d’objets en marbre décorés de reliefs.

Six bateaux quittaient chaque jour le port du Pirée pour acheminer les seules pièces produites en Attique. Imaginez le défi logistique et artistique que cela représentait à l’échelle de l’Empire!

«Il s’agit d’un marché mondial de dimension énorme, explique Lorenz Baumer. Selon des estimations récentes, de 300  000 à 750  000 sarcophages auraient été produits entre le IIe et le IVe siècle après J.-C., dont seuls 1 à 3% sont arrivés jusqu’à nous (12 000 à 15 000 objets, souvent fragmentaires). Les pièces étaient destinées à l’exportation vers différentes régions de l’Empire. On estime que six bateaux quittaient chaque jour le port du Pirée pour acheminer les seules pièces produites en Attique. Imaginez le défi logistique et artistique que cela représentait à l’échelle de l’Empire!»

À cette époque, trois centres majeurs concentrent la production. Il s’agit de l’Asie mineure, de l’Attique et de Rome, de loin le plus important. Le sarcophage hébergé à Genève provient de Dokimeion – aujourd’hui Iscehisar – cité antique située à proximité de très importantes carrières de marbre. Attestant de l’importance de ce lieu de production, des pièces en marbre de Dokimeion ont été retrouvées en Asie mineure (Ephèse, Perge), en Syrie, en Palestine, en Arabie, mais aussi à Rhodes, en Crète et en Italie.

L'objet est fait d’une pierre de très grande qualité

«L’objet est sous séquestre judiciaire. J’ai eu peu de temps pour l’observer, mais je peux vous affirmer qu’il est fait d’une pierre de très grande qualité que l’on peut remarquer au modelé de la sculpture, commente Lorenz Baumer. Les figures et décorations sont sculptées avec beaucoup de soin et une grande attention a été portée à la composition. À l’exception d’une réparation sur sa partie arrière, son état de conservation est excellent.»

Comme pour le reste de la statuaire, c’est par comparaisons stylistiques que sa datation a été effectuée. «La façon de travailler la pierre, la représentation des figures, le traitement des plis ou des chevelures nous apportent quantité d’informations chronologiques. Celui-ci remonte au début de la production en masse. Il est donc relativement ancien, ce qui est aussi digne d’intérêt, poursuit Lorenz Baumer.»

La pièce appartient à la famille des sarcophages mythologiques, c’est-à-dire que, sur ses panneaux, sont représentées des scènes légendaires, ici les douze travaux d’Hercule. On connaît une trentaine de sarcophages antiques produits en Asie mineure et illustrant ce sujet. Le héros y est représenté avec ou sans barbe dans quatorze scènes illustrant ses exploits, comme sa victoire sur le Minotaure ou sa descente aux enfers pour en ramener le chien Cerbère.

«D’un point de vue archéologique, je me réjouis de ce que peut apporter la redécouverte d’un objet d’une telle qualité. Certes, elle ne révolutionnera pas la connaissance, mais elle pourrait permettre de compléter l’image que l’on a de cette période et du travail des ateliers», conclut Lorenz Baumer.