Journal n°133

Deux siècles dans la vie des plantes

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Avec leurs quelque 6 millions d’échantillons, les Conservatoire et Jardin botaniques de la Ville de Genève (CJBG) possèdent une des plus importantes collections d’espèces végétales au monde. Témoin de l’importance de Genève pour les botanistes, le 6e Congrès mondial de la profession, qui aura lieu du 26 au 30 juin dans le cadre des 200 ans des CJBG, affiche un nombre record de participants. En deux siècles, ce joyau de la Ville de Genève a su adapter ses missions à l’intérêt croissant du public pour la botanique et pour la sauvegarde de l’environnement.

La collection unique des CJBG s’est constituée au fil du temps, à partir des premiers échantillons rassemblés par Augustin-Pyramus de Candolle, fondateur du Jardin en 1817 et premier titulaire de la chaire d’histoire naturelle de l’Université de Genève. Le premier apport important fut le legs de la collection du botaniste français Benjamin Delessert en 1869, suivi par l’intégralité de la collection d’Augustin-Pyramus de Candolle et de ses descendants qui rejoint les CJBG en 1921. À ce corpus est venue s’ajouter, en 1943, la collection du Genevois Edmond Boissier, confiée à la Ville par l’Université.

Tour d’horizon avec l'actuel directeur, Pierre-André Loizeau, par ailleurs chargé de cours à la Faculté des sciences.

Installés jusqu’en 1904 aux Bastions, les Conservatoire et Jardin botaniques ont d’emblée marqué leur proximité avec l’Université. Comment caractériser cette relation?
Pierre-André Loizeau: Il s’agit plus que de proximité. Lorsqu’il revient à Genève en 1816, après avoir occupé le poste de recteur de l’Université de Montpellier, Augustin-Pyramus de Candolle se voit proposer par l’Académie genevoise une chaire d’histoire naturelle qu’il accepte à condition de pouvoir créer un jardin. Il y a donc dès l’origine un lien direct avec l’Université.

L’urbanisation croissante a créé une demande de la population de mieux connaître et apprécier la nature

Quels sont les buts assignés à ce premier Jardin?
De Candolle y voit d’abord un support à son enseignement. Mais très vite, cette vocation est complétée par des travaux de recherche et d’acclimatation. Il s’intéresse notamment à l’adaptation d’espèces comestibles «exotiques», telles les pommes de terre, au biotope genevois. Parallèlement, il poursuit ses travaux sur la taxonomie, dont il est l’inventeur et qui consiste à dénommer et classifier les espèces végétales. C’est d’ailleurs toujours notre première mission. Il faut sans cesse remettre l’ouvrage sur le métier au fur et à mesure de l’évolution de la connaissance du périmètre de chaque espèce.

Le Jardin des Bastions était-il ouvert au public?
Il l’était, mais sans tout l’appareil didactique dont nous disposons aujourd’hui. Après la Seconde Guerre mondiale, l’urbanisation croissante a en effet créé une demande de la population de mieux connaître et apprécier la nature. Pour y répondre, nous avons mis en place des expositions ici aux CJBG et des excursions en milieu naturel. Dans le cadre du bicentenaire, nous ouvrons d’ailleurs une nouvelle exposition consacrée à l’ethnobotanique, à savoir les rapports entre l’homme et les plantes. On pourra notamment y voir des espèces servant de précurseurs à des médicaments.

Pour le canton de Genève, nous avons identifié quelque 400 espèces menacées

Avez-vous également un rôle à jouer en matière de protection de la biodiversité?
Reproduire des espèces disparues à partir de graines présentes dans les échantillons de l’herbier reste problématique. En revanche, nous pouvons constituer des banques de graines d’espèces menacées. Nous avons entrepris une démarche de ce type pour le canton de Genève. Nous avons identifié quelque 400 espèces menacées. Parmi celles-ci, une moitié a d'ores et déjà fait l'objet de récoltes de graines  qui sont ensuite stockées. Mais c’est un processus délicat et coûteux. Les graines restent actives pour autant qu’elles soient préservées dont un environnement sec et froid, à -20 °C. Nous devons les sécher à 15% d’humidité puis les sceller dans des structures parfaitement hermétiques.

La science participative a pris un énorme essor. Est-ce également un volet que vous développez?
C’est un élément de plus en plus important. Les botanistes sont assez peu nombreux et nous avons besoin de beaucoup de monde pour aller sur le terrain et identifier des espèces. Un premier pas a été effectué dans ce sens avec l’application pour smartphone Flora Helvetica, pendant numérique de l’ouvrage d’identification de toutes les plantes de Suisse. À travers cette application, tout un chacun peut envoyer électroniquement ses observations de terrain à Info Flora, une fondation qui sert de centrale de données sur la flore suisse. Dans le cadre du Bioscope de l’UNIGE, nous faisons également participer des élèves au séquençage des espèces du canton. En parallèle, nous participons à la mise à jour des inventaires de la flore cantonale réalisée en collaboration avec la Société botanique de Genève, toujours avec le soutien de volontaires. Enfin, au niveau fédéral, Info Flora a été mandatée- pour réviser la liste des espèces de plantes vasculaires menacées. Là encore, l’essentiel du travail de terrain est effectué par des bénévoles.

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