Journal n°74

«En termes d’action et de concertation, il faut cibler les entités supranationales»

Professeur de géographie et d’aménagement du territoire à la Faculté des sciences économiques et sociales, Bernard Debarbieux est l’un des porteurs du projet scientifique qui accompagnera le déménagement des sciences de l’environnement et des territoires à Uni Carl-Vogt. Entretien

Uni Carl-Vogt rassemblera des chercheurs en sciences naturelles, humaines et sociales autour de questions environnementales. Comment envisagez-vous cette collaboration?
Les collaborations existent déjà, mais nous voulons les mettre au service d’un projet scientifique plus large. L’environnement est un domaine travaillé par une multitude de disciplines qui ont chacune des priorités, des méthodologies, voire des épistémologies différentes. Il ne suffit pas de les placer dans un même bâtiment pour les faire travailler en commun. Il faut pour cela qu’il y ait un ensemble de questionnements transversaux. Cela dit, le fait de se croiser dans un même lieu, d’avoir des séances formelles ou informelles, des discussions de couloir est un élément moteur auquel je crois beaucoup.

Quelles sont ces thématiques transversales sur lesquelles vous prévoyez de travailler?
Avec mes collègues issus des sciences naturelles, les professeurs Beniston et Lehmann, et la professeure Fall, du Département de géographie, nous avons dégagé une question potentiellement fédératrice: celle du rapport entre science, politique et société dans le domaine de l’environnement. Il s’agirait d’abord de comprendre comment le savoir-faire des scientifiques et leurs priorités sont interprétables au regard du contexte social et politique dans lequel ils émergent.

Pouvez-vous donner un exemple?
On sait que la naissance des préoccupations écologistes, dans les années 1970, est fortement liée à une nouvelle façon de voir le monde. Les premières photos de la Terre prises de l’espace, notamment, ont contribué à une prise de conscience de la fragilité des écosystèmes. De même, la mobilisation de la communauté internationale et des grandes ONG sur les questions environnementales a énormément facilité le travail des scientifiques sur les changements climatiques ou la biodiversité, ne serait-ce qu’en apportant un financement aux recherches. Mais on peut également envisager les rapports entre science et société dans le sens inverse, en essayant de comprendre par quels cheminements des expertises et des recommandations scientifiques ont une influence sur la vision du monde et la pesée des intérêts des citoyens ainsi que des décideurs politiques.

A voir le résultat des grandes conférences internationales sur l’environnement, ce cheminement a l’air semé d’embûches…
C’est précisément ce que nous voulons essayer de comprendre: comment fonctionne la prise de décision politique en matière environnementale, comment naissent les blocages dans une grande conférence.

Ces blocages ne sont-ils pas avant tout liés au manque de volontarisme des politiques rivés à leurs échéances électorales?
On peut leur reconnaître un manque de témérité sur le plan environnemental, mais je pense que la plupart d’entre eux sont sensibles à cette question. Par ailleurs, les politiques ne doivent pas être à la solde des scientifiques. Leur vocation est de faire des arbitrages entre des préoccupations environnementales, économiques, sociales, etc. Je suis également convaincu qu’il y a une question d’échelle qui intervient dans ce cheminement entre connaissance scientifique et action politique.

Qu’entendez-vous par là?
Grâce à la capacité des scientifiques à collecter et à analyser des données environnementales très diverses, sur quantité de pays, nos connaissances sur l’environnement sont de plus en plus des connaissances mondiales. Or, on sait que c’est à l’échelon international qu’il est le plus difficile de prendre des décisions politiques. Les grandes conférences ont d’ailleurs commencé à en tirer les conséquences.

Dans quelle mesure?
Rio+20 a très clairement indiqué qu’il fallait considérer ces grandes arènes comme des lieux d’échange de points de vue, de débats, de confrontations idéologiques, mais qu’en termes d’action et de concertation entre acteurs institutionnels, il valait mieux cibler des entités supranationales, comme les régions de montagne, l’Europe, la Méditerranée ou encore le bassin de la mer Noire. On enregistre à cet échelon une forte progression des accords internationaux parce qu’il y a des objets communs sur lesquels discuter et moins de protagonistes pour le faire.

Et dans cette réflexion, quel pourrait être l’apport de la proximité du MEG avec Uni Carl-Vogt?
Un musée abrite des gens qui ont une formation scientifique, qui s’occupent de constituer des collections et de produire des connaissances scientifiques. L’ethnologie et l’anthropologie ont contribué de manière significative à la réflexion sur l’environnement, en soulignant notamment la diversité de conceptions des rapports entre nature et culture. Plusieurs de nos collègues qui viendront à Uni Carl-Vogt, en sociologie et en géographie notamment, ont l’habitude de travailler avec des anthropologues. On peut donc imaginer toutes sortes de collaborations.


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