Journal n°82

Quand la science des émotions devient un ingrédient narratif

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Le recueil de nouvelles de Jérémie Gindre est issu d’une résidence effectuée à l’UNIGE en 2011. L’artiste a décrypté les recherches menées au CISA et au CIN pour les intégrer à ses fictions

Jérémie Gindre vient de publier un recueil de nouvelles aux éditions de l’Olivier. Elles sont le fruit de sa résidence, en 2011, au Centre interfacultaire de sciences affectives (CISA) et au Centre interfacultaire de neurosciences (CIN) organisée dans le cadre du programme Artists-in-Lab. Egalement artiste, Jérémie Gindre est né en 1978 à Genève. En plus des cinq nouvelles réunies sous le titre On a eu du mal, il a produit un journal de dessins, que l’on peut considérer comme des traductions graphiques de mots et concepts rencontrés et qui selon l’artiste étaient «trop beaux pour ne pas être partagés». Rencontre autour d’un café avec cet artiste-écrivain atypique.

Pourquoi avoir postulé au programmme «Artists-in-Lab»?
Jérémie Gindre
: Parce que cela correspond à mon mode de fonctionnement. Je choisis un sujet qui m’intéresse et dans lequel je m’immerge durant une période plus ou moins longue. J’absorbe l’information à la manière d’une éponge, puis je vais à la rencontre des gens, je dialogue et partage avec eux. C’est seulement plus tard que vient le moment de la production artistique à proprement parler.

Pourquoi avoir choisi de faire une résidence au CISA et au CIN?
Chaque année, le programme Artists-in-Labs propose 4 différents laboratoires. J’avais déjà postulé pour un centre de recherche sur les avalanches dans les Grisons quelques années auparavant sans que cela n’aboutisse. En 2011, je souhaitais me confronter à un sujet qui sorte plus franchement de mes intérêts habituels. C’est comme cela que j’ai découvert le CISA et le CIN. La thématique m’a tout de suite plu par son aspect scientifique très pointu et, en même temps, parce qu’elle traite de questions universelles. Tout le monde aimerait en savoir un peu plus sur les phénomènes naturels et humains qui sous-tendent notre univers physique et mental. Ces sciences m’ont proposé toutes sortes de clés pour comprendre l’origine de la peur, celle de la colère ou celle de la joie. Il est intéressant d’essayer de voir ensuite comment cette compréhension influence nos vies.

Qu’est-ce qui vous a particulièrement marqué durant cette expérience?
L’accueil des chercheurs a été magnifique. J’ai été très bien entouré et accompagné durant les premières semaines. J’ai suivi une grande majorité de cours et conférences donnés au sein des deux structures. Je me suis imprégné de la matière jusqu’à avoir un point de vue global sur la partie neurosciences et la partie sciences affectives. J’étais en quelque sorte un privilégié, car le temps que je pouvais consacrer à ce travail était plus important que celui de n’importe quel chercheur de ces structures transdisciplinaires. Il est plutôt rare d’avoir droit à un point de vue aussi global, en restant par ailleurs indépendant.

Vous vous exprimez au travers de plusieurs médias. Pourquoi avoir privilégié l’écriture dans le cas présent?
C’était ce qui me semblait le plus approprié. Mon choix a été ensuite conforté par les nombreux récits qui m’ont été racontés sur la recherche, sur les découvertes, la vie en laboratoire ou encore lors des colloques, qui constituaient autant de belles situations narratives. Mon objectif, quelque soit le media utilisé, n’est pas de faire de la vulgarisation scientifique pure, mais de transformer les recherches en ingrédients narratifs. Il faut dépasser «l’illustration» qui est le niveau zéro de la relation art/science, parce qu’il n’y a là aucune discussion. A la fin de ma résidence, nous avons organisé avec le CISA et le CIN, un colloque réunissant artistes et scientifiques autour de la fabrique de l’imagination.

Aujourd’hui, sur quoi travaillez-vous?
Encore avec des scientifiques, mais du côté de l’histoire. Je reviens d’une résidence à Bibracte, un haut lieu de l’archéologie gallo-romaine.

| Pour en savoir plus |
On a eu du mal
de Jérémie Gindre, Editions de l’Olivier, 2013