Journal n°87

Les formes intimes de la matière révélées par la cristallographie

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Les Nations unies ont décrété 2014 Année internationale de la cristallographie. Une série d’événements à l’UNIGE et en Suisse viendront souligner l’importance des recherches dans ce domaine

Radovan Černý est à la tête du Laboratoire de cristallographie depuis 2009. L’Année internationale de la cristallographie lui offre une excellente occasion de mettre en avant l’importance de la recherche dans ce domaine, pour toute une série d’applications technologiques et médicales. Entretien.

Qu’est-ce que la cristallographie?

Radovan Černý: Il faut d’abord préciser que la cristallographie n’est pas une discipline en tant que telle, au même titre que la physique, la biologie ou la chimie. Raison pour laquelle il n’existe pas de Prix Nobel dans ce domaine. Elle est plutôt un point de vue sur la matière condensée qui s’appuie sur une méthode fantastique: la diffraction des rayons-X.

De quoi s’agit-il?

En 1912, le physicien allemand Max von Laue et ses collaborateurs ont montré que les rayons-X traversant un cristal pouvaient être diffusés dans des directions particulières selon l’agencement de ses atomes. C’est ce qu’on a appelé la diffraction des rayons-X. C’était une grande découverte pour la science.

En quoi?

C’était la première fois qu’on réussissait à voir indirectement l’architecture de la matière et à déterminer sa structure atomique. Par la suite, d’autres méthodes ont été utilisées: la diffraction des neutrons ou des électrons et, surtout, la microscopie électronique à haute résolution. Mais la diffraction des rayons-X demeure, aujourd’hui encore, la façon la plus aisée et efficace d’explorer la matière à l’échelle atomique. La cristallographie et la diffraction ne peuvent d’ailleurs exister l’une sans l’autre. Cette méthode est indispensable dans pratiquement tous les domaines de la science. Même la police a recours à la diffraction des rayons-X lors de ses investigations.

Quels sont les enjeux actuels de la recherche en cristallographie?

Les questions les plus importantes ont été résolues, mais la méthodologie continue de se développer et elle s’applique à des problématiques de plus en plus pointues et complexes, comme celles des sciences du vivant. En choisissant les bonnes conditions de température, d’acidité et de solution, n’importe quelle biomolécule peut, en effet, être cristallisée, c’est-à-dire arrangée de manière ordonnée et périodique. Elle peut alors être étudiée à l’aide de la diffraction. Invité à l’UNIGE il y a peu de temps, le biochimiste américain Roderick MacKinnon a d’ailleurs reçu le Prix Nobel de chimie en 2003 pour ses travaux à ce sujet. Cette approche donne lieu à de nombreuses applications, notamment dans le domaine médical. Un autre développement de la cristallographie aujourd’hui sont les études dites «in situ» ou «in operando». En pénétrant la matière, les rayons-X peuvent analyser ce qui se passe à l’intérieur d’appareils tels qu’une pile à combustible ou une batterie au lithium. Cependant, c’est peut-être dans la recherche pharmaceutique que la cristallographie a le plus d’impact, du moins au niveau commercial.

Pour quelles raisons?

Il est capital, pour la fabrication des médicaments, de connaître la forme et l’agencement des molécules qui sont employées. Une même composition chimique peut en effet se présenter sous des structures différentes, ce qu’on appelle le polymorphisme. Or, à chaque polymorphe correspondent des propriétés spécifiques. Très souvent, il n’existe qu’un seul polymorphe actif contre la maladie, les autres pouvant s’avérer neutres, voire nocifs. Des différences, que les chimistes connaissent bien, apparaissent également en vertu de la chiralité: comme nos mains, certaines molécules existent sous une forme gauche et droite, chacune ayant des propriétés distinctes. La diffraction est l’un des rares et l’un des meilleurs moyens de les différencier.

Sur quels aspects portent les recherches de votre Laboratoire?

Nous travaillons sur des matériaux à base de métaux, les hydrures, capables de stocker l’hydrogène nécessaire au fonctionnement de la pile à combustible, utilisée notamment pour la voiture à hydrogène. Nous utilisons la diffraction «in situ» pour étudier des réactions, des transitions de phases, bref des événements qui ont lieu rapidement dans des conditions ambiantes et à des températures ou des niveaux de pression qui ne sont pas ceux d’un laboratoire. Ces recherches sont au cœur du projet européen ECOSTORE auquel nous participons.


Le stockage énergétique de demain
Une année d’événements à Genève et en Suisse