Journal n°147

Examens et produits dopants: ce que disent les chiffres

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«Ce complément alimentaire contribue au maintien du bon fonctionnement du système nerveux et des performances intellectuelles ainsi qu’à la synthèse des neuromédiateurs. Il convient aux étudiants en période d’examens.» L’industrie ne s’y est pas trompée. Comme en atteste la notice de cet article vendu en pharmacie, les étudiants forment une cible de choix. Selon la dernière enquête de l’Observatoire de la vie étudiante de l’UNIGE (OVE), environ 20% d’entre eux consomment des produits en vue d’améliorer leurs performances aux examens. Des chiffres qui correspondent à ceux enregistrés dans d’autres universités et d’autres pays.

Faut-il s’en inquiéter? S’il est vrai que le phénomène dénote un certain désarroi et des niveaux élevés d’anxiété auprès d’une partie de la population estudiantine, il n’est pas nouveau, même si l’offre de produits s’est élargie ces dernières années. Et surtout, le pourcentage d’étudiants se disant concernés reste stable depuis 2013, date à laquelle l’OVE a introduit une question à ce sujet dans ses enquêtes sur les conditions de vie de celles et ceux qu’elle forme.

Les techniques d’apprentissage et de gestion du temps acquises diminuent la nécessité d’avoir recours à des produits

Pour le chercheur en sociologie Jean-François Stassen, membre de l’OVE, c’est moins le taux en lui-même qui est significatif que la relation qui peut être établie entre la consommation et d’autres variables. Il s’agit en d’autres termes d’identifier des facteurs permettant d’expliquer le niveau de consommation. Parmi ces facteurs, certains sont liés au profil des étudiants. Les femmes (22%) consomment ainsi davantage que les hommes (14%), un résultat conforme à  la prise de médicaments dans la population générale, qui affiche une disparité similaire (53% de femmes en Suisse disaient avoir pris au moins un médicament pendant la semaine écoulée en 2012, contre 43% d’hommes).

La consommation est également plus élevée chez les étudiants de Bachelor (21%) que de Master (15%), ce qui tendrait à montrer qu’après plusieurs années d’études, les techniques d’apprentissage et de gestion du temps acquises diminuent la nécessité d’avoir recours à des produits. De même, le phénomène est davantage marqué auprès des facultés où prévaut une plus forte concurrence entre étudiants (plus de 20% pour le droit, la médecine ou le Global Studies Institute, contre 15% en sciences, moins de 15% en lettres et en sciences de l’éducation, moins de 10% en traduction et interprétation). Jean-François Stassen nuance cependant ces chiffres en observant qu’il existe des effets de grappe: il suffit qu’un petit groupe d’étudiants se mette à consommer des produits dans une faculté pour entraîner, par imitation, une forte hausse autour d’eux. Les facteurs liés au profil ne sont donc pas forcément les plus révélateurs.

Plus les étudiants ont tendance à se focaliser exclusivement sur leurs études, plus ils sont enclins à consommer des produits.

Pour mieux comprendre ce qui incite les étudiants à faire usage de produits, il faut plutôt s’intéresser à la façon dont ils appréhendent leurs études, à leur capacité à gérer le temps, l’effort intellectuel et le stress induits par les examens. Globalement, plus ils ont tendance à se focaliser exclusivement sur leurs études, à y consacrer de nombreuses heures par semaine, plus ils sont enclins à consommer des produits. Chez celles et ceux qui diversifient leurs occupations, exercent une activité rémunérée ou bénévole à côté de leurs études, cette consommation est moindre. D’autres facteurs, comme la qualité du sommeil, la confiance en soi ou en l’avenir, jouent un rôle.

Quant à la nature des produits consommés, qui permettrait de mieux évaluer la dangerosité du phénomène, elle n’est pas prise en compte dans les enquêtes de l’OVE jusqu’ici. Un sondage effectué par e-mail en 2012 et 2013 auprès des étudiants des universités de Bâle, de Zurich et de l’EPFZ faisait ressortir deux principales catégories de produits utilisés par les étudiants: les relaxants et les dopants. En tête de liste de la première catégorie figurait l’alcool (5,6%), les calmants et somnifères (2,7%), le cannabis (2,5%) et les bêta-
bloquants (1,2%). Dans la seconde catégorie, les méthylphénidates comme la Ritaline (4,1%), les amphétamines (0,4%) et la cocaïne (0,2%).

Des travaux scientifiques ont ainsi montré que la dopamine activée par cretaines substances a une influence directe sur les capacités d’apprentissage

La plupart de ces substances peuvent provoquer une dépendance. Ce qui incite les universités à suivre de près le phénomène. Cette vigilance s’impose d’autant plus qu’un autre aspect, lié à l’essor des connaissances sur le fonctionnement du cerveau, laisse envisager des produits toujours plus efficaces. C’est déjà le cas avec la Ritaline ou le Modasomil. Des travaux scientifiques ont ainsi montré que la dopamine activée par ce type de substances a une influence directe sur les capacités d’apprentissage. Professeur de neurosciences à l’UNIGE, Christian Lüscher estime par conséquent que parler de «dopage cérébral» à propos de ces médicaments est approprié.

Faudrait-il alors en interdire l’usage en période d’examens par souci d’équité? Outre les difficultés pratiques que cela suppose, il serait plus profitable, selon Jean-François Stassen, d’accentuer le travail de prévention, en soulignant les méfaits liés à une consommation excessive de ces substances, et en incitant davantage les étudiants à solliciter les services gratuits offerts par l’Université dans l’apprentissage des techniques d’étude (lire ci-contre). —

www.unige.ch/dife/observatoire/