25 novembre 2020 - UNIGE

 

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Le nano-argent irrite un des «poumons de la Terre»

Utilisées dans de nombreux produits pour leurs vertus antibactériennes, les nanoparticules d’argent sont susceptibles de perturber également le métabolisme d’algues essentielles à la dynamique de la chaîne alimentaire marine et contribuant à la production de la moitié de l’oxygène terrestre.

 

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Image de l’absorption de nanoparticules d'argent par l’algue brune-dorée «Poterioochromonas malhamensi» réalisée par microscopie optique. © UNIGE/ Wei Liu

Les nanoparticules d’argent, ou nano-argent, connaissent un succès considérable dans l’industrie. Leurs propriétés bactéricides rendent de précieux services dans des secteurs aussi variés que les cosmétiques, le textile ou encore le «packaging». Toutefois, par la force des choses, ces composés nanométriques finissent dispersés dans l’environnement, en particulier dans les cours d’eau, les lacs et les océans. Et leur effet sur les micro-organismes peuplant ces milieux est encore mal compris. Dans un article paru le 25 novembre dans la revue Scientific Reports, une équipe de recherche dirigée par Vera Slaveykova, professeure au Département F.A. Forel des sciences de l’environnement et de l’eau (Faculté des sciences), comble en partie cette lacune. Elle montre en effet que le nano-argent, une fois absorbé par l’algue Poterioochromonas malhamensis, perturbe le métabolisme des acides aminés (les composants des protéines), des nucléotides (dont font partie les constituants de base de l’ADN), des acides gras et tricarboxyliques (qui entrent dans la formation des membranes des cellules) ou encore de la photosynthèse. Cela fait beaucoup d’atteintes pour cet unicellulaire qui fait partie du phytoplancton, c’est-à-dire les organismes végétaux vivant en suspension dans l’eau, qui sont responsables de la production de la moitié de l’oxygène présent dans l’atmosphère et constituent la base de la chaîne alimentaire marine.

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«Le nano-argent étant précisément conçu pour détruire, repousser ou rendre inoffensifs les organismes nuisibles comme les bactéries, les scientifiques ont vite soupçonné qu’il devait être également nocif pour d’autres organismes, y compris ceux qui sont cruciaux pour notre environnement», commente Vera Slaveykova. Le travail de son équipe, dont fait partie Wei Liu, chercheur dans son laboratoire et premier auteur de l’article, contribue à confirmer ces craintes.

Des flots de nano-argent
Les exemples d’utilisation du nano-argent sont légion: filtres à eau, peintures, cosmétiques, déodorants, vêtements, emballages alimentaires, plastiques «fonctionnalisés», dispositifs médicaux, pansements, machines à laver, réfrigérateurs, détergents, biocapteurs… Une multitude de produits différents en consomment des centaines, voire des milliers de tonnes par an. Une proportion non négligeable de cette quantité est rejetée dans les eaux usées, échappe au traitement des stations d’épuration et se retrouve dans l’environnement, soit sous la forme de particules entières, soit sous celle d’ions d’argent (Ag+) qui s’en sont libérés.
«Le potentiel du nano-argent à affecter la structure et le fonctionnement des communautés phytoplanctoniques ainsi que les espèces qui les composent est bien documenté, écrivent les auteur-es. Il peut être dissous et absorbé, il peut induire un stress oxydatif et inhiber la photosynthèse. Cependant, l’étendue de l’absorption et de la dissolution de ces nanoparticules et leur contribution à la toxicité globale du phytoplancton restent floues.»
C’est pourquoi les scientifiques genevois ne se sont pas contentés de la réponse physiologique des algues à une exposition au nano-argent. Ils ont analysé plus en détail le processus métabolique qui y mène. La «métabolomique», à savoir l’analyse des composés (métabolites) produits par l’ensemble des réactions chimiques qui ont lieu dans une cellule, est bien rodée en sciences médicales et pharmaceutiques. Elle n’en est cependant qu’à ses balbutiements en toxicologie environnementale. Selon les auteur-es, cette technique offre la possibilité de détecter de manière précoce les changements induits par une toxine, en amont d’effets plus globaux comme l’arrêt de la croissance des algues et son impact sur la production d’oxygène. Une approche qui pourrait aider à démontrer des relations de cause à effet, ce qui est toujours un résultat difficile à obtenir dans des environnements aussi complexes.
Les tests ont été menés sur Poterioochromonas malhamensis, une algue de couleur brun doré qui domine souvent les populations de phytoplancton mixotrophe (dont les membres sont capables de se nourrir aussi bien par photosynthèse qu’aux dépens d’autres organismes). Les résultats suggèrent d’abord que ce sont les ions d’argent qui sont le principal facteur de toxicité. De plus, pour la première fois, les scientifiques ont pu montrer que le nano-argent entre dans l’algue par des mécanismes de phagocytose utilisés pour alimenter les cellules en matière organique. Ils ignorent cependant si d’autres espèces de phytoplancton utilisent le même procédé. Enfin, l’équipe de recherche a pu démontrer que les perturbations métaboliques qu’elle a identifiées induisent à terme des dysfonctionnements de type physiologique tels que la peroxydation des lipides menant à la perméabilisation des membranes, l’accroissement du stress oxydatif et la diminution de l’efficacité de la photosynthèse, donc de la production d’oxygène

 

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