22 juin 2021 - Anton Vos

 

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Un photon d’une énergie record a été pris au Lhaaso

Une équipe genevoise contribue au développement de l’observatoire chinois Lhaaso, spécialisé dans l’étude des rayons cosmiques. Sa dernière prise est un photon dont l’énergie atteint 1,4 million de milliards d’électronvolts. Un record.

 

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Vue aérienne des installations de l’observatoire Lhaaso, situé à 4410 mètres d’altitude, dans la province du Sichuan en Chine. Image: IHEP


C’est le photon le plus énergétique qu’aucun instrument de mesure humain ait jamais détecté à ce jour. L’énergie de ce «grain de lumière» se monte à 1,4 million de milliards d’électronvolts (ou PeV pour pétaélectronvolts) et son origine se situe quelque part à l’intérieur de la Galaxie, dans la direction de la constellation du Cygne. Le passage de ce rayon cosmique hors du commun dans l’atmosphère terrestre a été capturé par l’observatoire chinois Lhaaso (Large High Altitude Air Shower Observatory) auquel l’Université de Genève participe en tant que membre du comité scientifique et décisionnel. En tout, l’expérience a détecté 520 photons de plus de 0,1 PeV provenant de 12 sources galactiques différentes. Elle a été rapportée dans un article paru le 17 mai dans la revue Nature.

 

 

«Ces photons d’ultra-haute énergie (UHE) font partie des rayons cosmiques qui bombardent sans cesse la Terre, explique Domenico Della Volpe, maître d’enseignement et de recherche au Département de physique nucléaire et corpusculaire (DPNC, Faculté des sciences), et cosignataire de l’article. Lorsque ces photons pénètrent dans l’atmosphère, ils entrent fatalement en collision avec l’un de ses composants. L’évènement provoque une gerbe spectaculaire de particules. Sous l’intensité du choc, certaines d’entre elles dépassent même la vitesse de la lumière dans l’air (pas la vitesse de la lumière dans le vide, qui reste une limite infranchissable), ce qui a comme résultat de provoquer l’émission d’une lumière bleu-violet, appelée effet Tcherenkov.»
L’expérience Lhaaso est conçue pour suivre le phénomène en direct et sous toutes ses coutures. Construit dans la chaîne himalayenne à 4410 mètres d’altitude dans la province chinoise du Sichuan, l’observatoire comprend quatre types de détecteurs. Une «piscine» de 78 000 m2 remplie de détecteurs Tcherenkov censés capter les particules les plus rapides atteignant le sol, près de 1200 détecteurs de muons (une espèce de «gros» électron), 5200 détecteurs de particules électromagnétiques et 18 télescopes destinés à enregistrer la lumière Tcherenkov proprement dite. Le tout est disposé sur un territoire de plus de 1,3 kilomètre carré.

Moins cher que les Chinois
«Notre groupe (dont font aussi partie Teresa Montaruli et Matthieu Heller, respectivement professeure et chercheur au DPNC) a apporté au projet des composants de notre conception entrant dans la fabrication des caméras installées sur les télescopes, se réjouit Domenico Della Volpe. Notre solution technique était plus performante et 40% moins chère que celle prévue à l’origine. Cette contribution a été fort appréciée et c’est pourquoi nous avons pu intégrer le comité de direction de l’observatoire Lhaaso avec un droit de vote. Nous sommes la seule institution non chinoise à occuper une telle position. Ce sont également des entreprises suisses qui assurent la production de ces composants.»
Le Lhaaso, dans son ensemble, est conçu de telle façon que les scientifiques peuvent, à partir des données récoltées, reconstruire la trajectoire des particules de la gerbe et la direction d’où provient le rayon cosmique initial. C’est ainsi que les quelques centaines de photons candidats détectés ont permis d’identifier 12 sources différentes avec une précision de moins d’un tiers de degré. Onze d’entre elles correspondent à des sources connues. La dernière est nouvelle et a déjà commencé à attirer le regard de télescopes du monde entier. Toutes sont situées à l’intérieur de la Voie lactée.
En effet, plus l’énergie d’un photon traversant l’espace est importante, plus la probabilité qu’il entre en collision avec une poussière ou un atome perdu dans le vide cosmique est grande et donc moins la distance qu’il peut parcourir est longue. Par conséquent, il est pratiquement impossible qu’un photon ayant une énergie de plus de 0,1 PeV provienne d’une autre galaxie.
«Nous ne connaissons pas encore la nature exacte des sources de ces photons UHE ni les mécanismes qui les ont accélérés à de telles vitesses (ou de telles énergies, c’est équivalent), explique Domenico Della Volpe. Nous avons des hypothèses, comme les jeunes amas d’étoiles massives, les restes de supernova, etc. Mais il faudra encore le démontrer.»
Lhaaso, qui fonctionne depuis onze mois alors que l’observatoire n’est achevé qu’à 80% – il sera pleinement opérationnel d’ici à la fin de 2021 –, permettra sans doute d’y parvenir. Tout comme d’autres projets dans le monde, tels que le Cherenkov Telescope Array Observatory (CTAO), actuellement en construction au Chili ainsi qu’aux Canaries et auquel la même équipe, dirigée par Teresa Montaruli, participe également.

 

 

 

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