1er juin 2023 - Melina Tiphticoglou

 

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Une étude met en lumière le travail bénévole des seniors

La recherche Vivra, dans le cadre de laquelle plus de 100 retraité-es et 14 associations ont été interrogées, montre que l’engagement bénévole associatif des seniors joue un rôle central dans le fonctionnement de la société. Un travail souvent invisible et peu reconnu, motivé par le plaisir et la quête de sens.

 

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L’association Les Tables du Rhône, partenaire de la recherche Vivra, récolte des produits alimentaires excédentaires pour les redistribuer. Photo: DR.


«Ça te rend gaga, la retraite. La retraite, c’est con! Ça te rend grognon, la retraite, ça te rend bougon! Ça te fait tout vieux, la retraite. La retraite, pas bon!» chantait Gilbert Bécaud en 1984. Vraiment? La question se pose de façon d’autant plus aiguë que l’espérance de vie augmente et, avec elle, le nombre d’années à vivre en bonne santé après 65 ans. Le projet de recherche «Vivra: bien vivre sa retraite avec les autres», mené conjointement par les universités de Genève, Lausanne et Neuchâtel ainsi que par la Haute École et École Supérieure de Travail Social Valais-Wallis, a étudié la question sous l’angle de l’engagement bénévole associatif des seniors.

 

De fait, contrairement à l’image de repos qu’évoque souvent cette période, les retraité-es ne restent pas oisifs/ives. Ils et elles sont nombreux à mener des activités non rémunérées. L’Office fédéral de la statistique recense une activité bénévole (non rémunérée) pour 44,7% des 65-74 ans, soit légèrement plus que la moyenne de la population. Alors que 37,2% d’entre elles/eux consacrent leur temps à des personnes, 17,3% s’engagent en faveur d’une organisation, d’une association ou d’une institution publique.
 
Mené durant trois ans, de 2019 à aujourd’hui, le projet Vivra avait pour objectif de mieux cerner les raisons de l’engagement bénévole au moment de la retraite et ce qu’il apporte aux personnes qui donnent de leur temps. L’étude visait également à comprendre comment cet engagement participe à la mobilisation ou au développement de nouvelles compétences, à la qualité de vie des bénévoles, à la cohésion sociale et au bien-être de toutes les générations. Le 25 mai, l’équipe proposait une après-midi de restitution des résultats en présence notamment des participant-es de la recherche et de quatre des chercheuses ayant mené le projet, dont Nathalie Muller Mirza, psychologue sociale de l’apprentissage et professeure à la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FPSE) de l’UNIGE. Entretien.

LeJournal: Comment avez-vous procédé pour étudier cette population particulière?
Nathalie Muller Mirza: L’étude a été réalisée dans deux cantons, le canton de Vaud et en Valais, de manière à obtenir des informations dans des contextes variés. L’équipe a travaillé avec 14 associations partenaires et plus de 100 retraité-es actifs/ives en leur sein ont été interrogé-es. Ces personnes étant elles-mêmes engagées dans plusieurs associations, nous avons pu documenter des activités bénévoles dans 118 associations. Pour collecter les données, nous avons mené des entretiens individuels et des entretiens collectifs. Les participant-es ont également été invité-es à consigner leurs activités dans des «calendriers de vie». Ces différentes méthodes devaient favoriser une recherche participative que nous avons menée jusqu’au bout en présentant nos conclusions aux partenaires et participant-es et en leur demandant d’y réfléchir avec nous.

Quels constats avez-vous pu établir?
L’image de la personne retraitée qui prend soin d’elle-même et vit dans l’attente et l’inutilité (au sens de la production), à la charge de la société, est fausse. Au contraire, l’engagement bénévole des seniors est d’une grande ampleur, se conjuguant souvent au pluriel avec des participations dans plusieurs associations. L’ensemble des tâches et des activités qu’ils et elles réalisent gratuitement jouent un rôle central dans le fonctionnement de la société, contribuant à la cohésion sociale et au bien-être des autres générations. Ce travail essentiel est souvent invisible et peu connu – voire peu reconnu. Toutefois, les bénévoles tirent souvent de cet investissement une reconnaissance symbolique liée au sentiment de transmettre des connaissances et expériences utiles à autrui et au fonctionnement collectif.

Comment rendre ce travail plus visible?
La diffusion de connaissances pourrait aider à améliorer la reconnaissance sociale et financière de ce type d’engagement. Notre recherche s’inscrit dans cette démarche. À ce titre, les médias ont un rôle à jouer, de même que les autorités politiques. Une reconnaissance sous la forme de droits ou d’arrangements fiscaux est également défendue par certaines associations.

Si la reconnaissance n’est pas au rendez-vous, pourquoi un tel engagement?
La retraite est une période de transition dans laquelle les personnes concernées se demandent ce qu’elles vont faire de cette tranche de vie où elles peuvent décider de l’usage de leur temps. Les raisons évoquées pour expliquer le choix d’un engagement associatif sont multiples – du maintien de relations sociales à l’envie d’être utile, en passant par le besoin d’action – et, parmi elles, la question du plaisir est centrale. Il ne s’agit pas d’un plaisir égocentrique, mais d’un plaisir qui naît de la relation à autrui, de cet échange où sa propre présence est utile. Par ailleurs, les personnes cherchent à donner du sens à leur engagement et s’investissent dans des associations dont elles acceptent les valeurs, avec la liberté de les quitter si elles n’y trouvent plus leur compte.

Concrètement, qu’apportent ces bénévoles aux associations?
La liste des compétences dont les seniors bénévoles font usage dans leur engagement est très longue et peut être en continuité ou non avec les activités professionnelles antérieures: lecture aux personnes âgées, distribution de nourriture, tâches administratives... Mais ces tâches nécessitent une multitude de ressources, que l’on nomme «compétences agies», dont les personnes n’ont souvent pas conscience et que nous avons souhaité mettre en évidence. La recherche de fonds, par exemple, exige de faire la liste des potentiels donateurs, de préparer un dossier adapté et de l’envoyer, de ne pas «laisser mourir» les choses mais de relancer les destinataires, de savoir gérer les éventuels refus sans rompre la relation, etc.

Comment avez-vous procédé pour mettre en évidence ces compétences agies?
Nous avons mené des entretiens d’explicitation qui consistent à conduire une conversation d’un type particulier. Il s’agit d’inviter la personne à se connecter à une situation concrète vécue et de l’accompagner, au moyen de questions ciblées, à décrire la scène (qui était présent, comment elle a agi, etc.). De la sorte, nous mettons en évidence la chronologie détaillée de l’action, les savoirs conceptuels et expérienciels mobilisés, les raisonnements, les observations, les évaluations, les micro prises de décision… et mettons ainsi en lumière la richesse de ses contributions.

L’engagement bénévole des seniors a-t-il un effet sur leur qualité de vie?
Le passage à la retraite peut être vécu comme une transition bouleversante. S’engager dans une association, y contribuer, à travers ses actions et ses compétences, dans une relation aux autres perçue comme dotée d’utilité et de sens, peut jouer un rôle important dans la reconstruction ou le maintien d’une identité positive. Une bénévole senior explicitait ainsi son engagement: «C’est en lien avec l’envie dans les deux sens du terme: envie et en vie.» Ce sont le plaisir et le sens qui lui permettent d’avoir ce sentiment d’être encore en vie, dans la vie, dans la relation, et qui contribuent donc à la qualité de vie.

 

 

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