1er juin 2023 - Anton Vos

 

Recherche

Santé numérique: une check-list pour passer de la théorie à la pratique

Des scientifiques proposent un outil pour aider à la mise en œuvre durable et à grande échelle de projets en santé numérique (réseau de télémédecine, applications mobiles, dossiers électroniques…) qui ne dépassent souvent pas la phase pilote.

 

 104 check list caroline_perrin-1200.jpg

Caroline Perrin-Franck, collaboratrice scientifique au Département de radiologie et informatique médicale (Faculté de médecine). Image: DR


Néologisme inquiétant, la «pilotite» est une maladie qui ne touche pas directement l’être humain. Elle désigne un syndrome qui affecte les nouvelles technologies et qui est caractérisé par une incapacité à dépasser la phase pilote de projets, empêchant du même coup leur mise en œuvre de manière durable et à grande échelle. Et c’est précisément de pilotite que souffre la santé numérique (digital health), un domaine qui regroupe toutes les solutions innovantes en matière de santé basées sur les technologies de la communication et de l’information. Afin de remédier à ce problème récurrent, une équipe globale d’expert-es menée par des scientifiques de l’Université (UNIGE), les Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et le Geneva Digital Health Hub a développé un cadre conceptuel de référence paru le 10 mai dans le Journal of Medical Internet Research (JMIR) sous la forme d’une check-list en 20 points essentiels. Ces lignes directrices permettront d’analyser et de documenter la mise en œuvre de n’importe quel projet de santé numérique à travers le monde, de la comparer à d’autres et de mieux comprendre pourquoi certaines ont été couronnées de succès et d’autres non. Et ce, dans le but d’améliorer la qualité et la durabilité de la santé numérique dans son ensemble.

 

 

La santé numérique regroupe tous les outils informatiques mis au service de la santé. Ceux-ci vont du simple rappel par SMS aux patient-es pour la prise d’un médicament à la gestion de la logistique d’une distribution de vaccins, en passant par les dossiers électroniques des patient-es ou encore l’organisation d’un réseau de télémédecine en Afrique. Leur nombre s’est démultiplié en une vingtaine d’années et ils sont devenus incontournables dans les systèmes de santé du monde entier. Le problème, c’est que de nombreux facteurs, très souvent étrangers à la qualité intrinsèque des projets, empêchent leur mise en œuvre durable et/ou à grande échelle.
«Parfois, c’est parce que l’on n’a pas intégré l’utilisateur final (les patient-es, par exemple) dès le départ du développement du projet», explique Caroline Perrin-Franck, collaboratrice scientifique au Département de radiologie et informatique médicale (Faculté de médecine) et première auteure de l’article, aux côtés des professeurs Antoine Geissbühler et Christian Lovis. «Parfois, c’est au contraire parce que les autorités sanitaires n’ont pas été impliquées. Trop souvent, le projet s’arrête faute de financements à plus long terme. En fait, à notre connaissance, il n’existait pas avant notre travail de revue systématique d’expériences de terrain permettant de documenter la mise en œuvre des outils numériques, d’identifier les stratégies qui fonctionnent ou pas, dans quels contextes et pourquoi et, finalement, d’aller au-delà des phases pilotes.»
Afin de combler ces lacunes que Caroline Perrin-Franck et ses collègues se sont lancé-es dans la conception d’un cadre de référence commun, appelé iCHECK-DH (Guidelines and Checklist for the Reporting on Digital Health Implementations). L’idée est que les responsables d’un projet en santé numérique désirant publier leur innovation rédigent un rapport qui réponde à un nombre minimal de questions jugées essentielles pour comprendre tous les aspects de la mise en œuvre, en particulier les facteurs clés de la réussite – ou de l’échec. L’objectif de cette check-list est de standardiser ces rapports, d’améliorer les normes de mise en œuvre et de faciliter la construction d’un corpus de données probantes, indispensables lorsqu’il s’agit d’avoir un réel impact sur les services de santé.
Concrètement, Caroline Perrin-Franck et ses collègues ont d’abord identifié 27 points tirés de la littérature scientifique. Ils ont ensuite rassemblé un groupe d’expert-es du monde entier (formé de décideurs politiques, de scientifiques, de bailleurs de fonds…) qui a ramené cette liste à 20 avant d’être testée et validée sur le terrain. Les points retenus sont regroupés dans les mêmes subdivisions que n’importe quel article scientifique (titre, résumé, méthodes, résultats, discussion…), mais ils mettent l’accent sur des éléments spécifiques aux projets de santé numérique basés sur des technologies de l’information et de la communication. Chaque entrée est précisément décrite avec force exemples. Entre autres choses, il est demandé de décrire le contexte (géographique, social, culturel, politique…) dans lequel s’inscrit l’innovation, quelles sont ses cibles (individus, groupes, systèmes de santé…), comment sont gérées les données qu’elle utilise, quelles sont les entités participantes (organisations, agences de financement, gouvernements, patient-es…), quels sont les résultats, les facteurs les ayant favorisés et les défis ayant dû être relevés… La liste n’est de loin pas exhaustive.
«Avec iCHECK-DH, nous voulons supprimer le fossé qui existe entre la théorie et la pratique avec des données complètes, précises et cohérentes, conclut Caroline Perrin-Franck. En identifiant les facteurs clés de réussite, cet outil permettra de reproduire à plus large échelle ce qui fonctionne réellement.»
Le cadre de référence iCHECK-DH est lui-même assuré de sortir de la phase pilote et d’être mis en œuvre à plus grande échelle. En effet, afin de recevoir et de publier des articles scientifiques sur la mise en œuvre d’outils en santé numérique, la revue spécialisée JMIR Medical Informatics (une sous-publication de JMIR) a introduit un nouveau type d’articles, «Implementation Reports», basé justement sur iCHECK-DH.

 

Recherche