9 mars 2023 - Anton Vos

 

Recherche

«Il faut plus de critères qualitatifs dans l’évaluation de la recherche»

L’Université de Genève a signé l’«Accord sur la réforme de l’évaluation de la recherche» aux côtés de centaines d’organisations scientifiques. Le texte vise à injecter des critères qualitatifs dans un système majoritairement basé sur des indices quantitatifs.

 

 95recherche-1200.jpg

Revues scientifiques. Image: DR

Évaluer de manière équitable la qualité de la recherche scientifique réalisée par un individu, un groupe ou une institution n’est pas une mince affaire. Un constat semble néanmoins partagé par l’ensemble de la communauté scientifique: le système actuel, essentiellement basé sur des critères quantitatifs tels que les indices de citations ou les facteurs d’impact des journaux, est insuffisant. C’est dans ce contexte que l’Université de Genève est, depuis quelques jours, devenue signataire de l’«Accord sur la réforme de l’évaluation de la recherche» (Agreement on Reforming Research Assessment). Un document publié en juillet 2022 et dont le processus de rédaction a impliqué à diverses étapes plus de 350 organisations d’une quarantaine de pays. Explications de texte avec Danielle Bütschi, conseillère au Rectorat.

 

LeJournal: D’où vient l’idée d’un tel accord?
Danielle Bütschi: Mesurer équitablement les performances scientifiques est un problème dont on parle depuis plusieurs années. Texte pionnier publié en 2012 par la Société américaine de biologie cellulaire et dont l’UNIGE est également signataire, la Déclaration de San Francisco, ou DORA (Declaration on Research Assessment), recommande déjà de procéder à une évaluation plus approfondie et de sortir du système actuel qui se limite souvent – même si cela varie d’une discipline à l’autre – à des critères tels que le nombre de publications d’un-e chercheur-euse, le nombre de citations que récoltent ces publications ou encore, et surtout, le facteur d’impact des journaux dans lesquels elles apparaissent. L’accord sur la réforme de l’évaluation de la recherche s’appuie sur la DORA et précise les principes et contours des changements nécessaires pour maximiser la qualité et l’impact de la recherche. L’idée de cet accord est que les chercheur-euses, les institutions scientifiques, les agences de financement, bref tous-tes les acteurs/trices impliqué-es dans la recherche scientifique, travaillent ensemble pour arriver à une vision commune. L’UNIGE tient évidemment à faire partie de ce mouvement.

Danielle Bütschi, conseillère au Rectorat.Photo: DR

 

Pourquoi faut-il revoir l’évaluation de la qualité de la recherche?
Basé principalement sur des critères quantitatifs, le système actuel d’évaluation de la recherche peut se résumer à la phrase publish or perish (publie ou péris). Or, avec la montée en puissance des moyens numériques, on se rend compte qu’un-e scientifique fait beaucoup plus que publier des articles. Dans le cadre de son activité, il/elle développe une série de compétences qui ne sont pas valorisées par ces indices. Le fait de produire des ensembles de données de qualité, par exemple, est la garantie d’une recherche elle aussi de qualité et permet une reproductibilité des résultats. On peut aussi estimer que déposer des brevets, communiquer auprès du grand public, produire des visualisations de phénomènes complexes sont des connaissances et des expériences qui doivent être prises en compte dans l’évaluation de la recherche. Il ne s’agit pas de négliger la publication des articles. Cela restera un critère primordial. Mais se borner à cet aspect empêche de prendre toute la mesure de la diversité des tâches, des activités et des parcours des scientifiques.

Comment tenir compte des parcours de carrière?
On peut par exemple considérer l’âge académique des chercheurs et des chercheuses. Cela montrera une carrière qui a été interrompue ou commencée tardivement en raison de l’arrivée d’un enfant ou valorisera des périodes d’activité extra-académiques. Au lieu de conclure qu’un ou une candidat-e de 50 ans a relativement peu publié, on pourra estimer qu’il ou elle a, au contraire, été très prolifique durant ses dix ans académiques, c’est-à-dire la durée effective du temps passé à la recherche scientifique. En d’autres termes, l’Accord sur la réforme de l’évaluation de la recherche propose d’injecter des critères qualitatifs dans l’évaluation de la recherche. En l’occurrence, l’objectif est de ne plus demander aux candidats et candidates de présenter une liste complète de publications et des index de citations mais un narratif de ce qu’ils ont accompli durant leur carrière. On parle d’ailleurs à ce propos de «CV narratif».

Est-ce que le thème de la science ouverte est mentionné par l’accord?
Le texte mentionne la science ouverte à différentes reprises et l’intègre dans ses critères d’évaluation. Celle-ci est en effet considérée comme un moteur très important pour parvenir à une recherche de qualité. Mettre l’ensemble des données produites par certains groupes à la disposition du reste de la communauté – et les rendre utilisables par tous – demande cependant un effort important de la part des scientifiques, effort qui est malheureusement peu valorisé. Une des façons d’encourager une telle pratique consiste à en faire un des critères d’évaluation de la qualité de la recherche.

Où en est l’UNIGE dans ce domaine?
La Faculté de médecine joue un rôle de pionnière puisqu’elle s’est lancée dans l’expérience du CV narratif. Un nouveau modèle, inspiré de ce qui est dorénavant demandé par le Fonds national suisse pour la recherche, est notamment utilisé dans les procédures de renouvellement des professeur-es et comprend également un volet sur l’enseignement, sur le management et sur la recherche clinique. Il leur est ainsi demandé de présenter leur parcours académique et leurs plans de recherche et de mettre en avant leurs cinq publications les plus importantes. Ils et elles peuvent aussi indiquer d’autres apports, comme les bases de données en libre accès, le dépôt de brevets, la supervision de doctorant-es et le parcours de ces dernier-ères. Comme l’explique Martine Collart, professeure au Département de microbiologie et de médecine moléculaire (Faculté de médecine) et responsable de cette innovation, cela a demandé un changement important du travail des commissions de renouvellement.

Ne peut-on pas généraliser cette pratique aux autres facultés?
La réforme de l’évaluation de la qualité de la recherche est un changement culturel. Elle ne se décrète pas. Cela se fera discipline par discipline, chacune étant confrontée à des contraintes très différentes. Il faut avancer par petits pas et de manière inclusive en y associant les chercheurs et chercheuses.

 

 

Recherche