1er septembre 2022 - Melina Tiphticoglou

 

Vie de l'UNIGE

«Voler toujours plus haut n’est pas possible»

Les étudiant-es du cours «Social and Environmental Dilemmas in Capitalism» développent un regard critique sur la précarité, la logistique ou l’extraction du lithium. Leurs analyses font l’objet d’une publication dans le magazine «SDGzine».

 

 

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Le téléphérique de La Paz, en Bolivie, un pays qui a privatisé, puis renationalisé son réseau d’eau au cours des 25 dernières années. Photo: Snowscat/Unsplash


En pleine transition énergétique, comment assurer que l’extraction du lithium, dont les batteries des véhicules électriques dépendent, est respectueuse de l’environnement et des populations? À l’heure où le commerce international repose sur une interconnexion mondiale jamais égalée, quelle est la portée politique de la révolution logistique que celui-ci nécessite? Comprendre le cadre théorique et débattre des enjeux sociaux et environnementaux du capitalisme, tels sont les objectifs du cours donné par Peter Bille Larsen, chercheur et chargé de cours à l’Institut de gouvernance de l’environnement et développement territorial, au sein du Master «Innovation, Human Development and Sustainability». Une formation dont les résultats obtenus lors de l’année académique qui vient de s’écouler font aujourd’hui l’objet d’une édition spéciale du SDGzine, publication de l’AddictLab Academy.

 

S’appuyant sur des lectures issues de domaines aussi variés que l’anthropologie, les sciences de l’environnement ou l’économie politique et de théoriciens tels que Karl Marx ou David Harvey, les étudiant-es y examinent cinq thématiques sous l’angle du capitalisme: précarité sociale à Genève, extraction du lithium, gestion de l'eau en Bolivie, révolution logistique et consommation énergétique des systèmes numériques. «Le choix des cas et la qualité des essais démontrent la force de la pensée critique des étudiant-es sur des sujets aussi variés que l’économie verte, l’inclusion sociale ou les transformations profondes de nos sociétés», commente l’enseignant.

Auteur de l’article «The Cost of Going Green: The Dilemma of Lithium Mining» avec Xenia Anaïs Harder, Vanessa Klemm et Gautham Varada Narayan, Samuel Ugo Ringier explique: «Nous avons choisi d’étudier l’extraction du lithium, car ce minerai apparaît aujourd’hui comme la clé d’un avenir durable. C’est la ressource la plus importante du moment, dans laquelle il est très intéressant d’investir, comme l’était le pétrole lors de sa découverte au XIXe siècle. Nous avons tenté de comprendre quels sont les risques qu’une telle exploitation peut faire courir à l’environnement et aux populations indigènes avant de dresser des recommandations pour éviter de répéter les erreurs du passé.»

«On ne peut pas éviter d'extraire le lithium»
La demande en lithium, qui est principalement utilisé pour stocker l’énergie renouvelable dans les batteries (des voitures électriques, des appareils électroniques, etc.), est en effet en très forte augmentation. Or, environ 70% des réserves mondiales exploitables sont situées dans les plaines salées d’Argentine, de Bolivie et du Chili, ce qui exerce une pression intense tant sur les territoires concernés que sur les gouvernements de ces pays.

«Il y a un grand besoin de lithium, on ne peut donc pas éviter de l’extraire, mais cela devrait se faire sans menacer la survie des communautés locales, commente Xenia Anaïs Harder. Notre analyse nous mène à recommander la création d’un cadre mondial pour des pratiques équitables d’extraction du lithium, auquel prendraient part les pays concernés et les sociétés exploitantes. Nous préconisons également la mise en œuvre par l’Argentine, la Bolivie et le Chili d’un conseil de doléances transfrontalier pour les populations habitant le triangle du lithium, qu’il faut voir comme un écosystème connecté.»

Autre sujet, autre enjeu: la logistique à l’heure du commerce mondial. «La logistique semble avoir radicalement transformé le visage du capitalisme contemporain, explique Pierre Patelli, qui a rédigé l’analyse ‘A Nigerian Port taken in the Turbulences of the Logistical Revolution’ avec Thomas Arduin, Guillaume Dreyer et Daniel Schenk. Alors qu’elle est fréquemment comprise de manière apolitique, comme la simple organisation ou gestion de flux, nous voulions montrer comment elle façonne les dimensions économiques, sociales, écologiques et politiques de nos sociétés, donnant lieu au nouveau visage du colonialisme moderne.»

Se concentrant sur le cas spécifique du port de l’île Tin Can au Nigeria, les étudiant-es montrent comment la logistique, en tant que secteur émergent en grande partie aux mains des multinationales, accentue les asymétries de pouvoir. Pour y remédier, les auteurs recommandent de rétablir une forte présence publique, en associant la société civile et les acteurs locaux dans la gestion des lieux stratégiques où se joue le commerce mondial.

Quelles conclusions tirer de cet enseignement sur les dilemmes du capitalisme? Pour Vanessa Klemm, «le principal problème de ce système réside dans le fait qu’il est basé sur un modèle de croissance. Un avion qui ne ferait que voler, sans s’arrêter pour se reposer ou remplir son réservoir, finirait par s’épuiser ou se crasher. Voler toujours plus haut n’est pas possible. De la même manière, nous avons une quantité limitée de ressources, peu importe qu’il s’agisse de sable, d’eau ou de minerai, dont nous faisons une utilisation excessive. Ce n’est pas durable.» Et Pierre Patelli d’ajouter: «Sans compter que le capitalisme crée un rapport de classes. Alors que la Terre et ses ressources appartiennent à tout le monde, on observe une concentration des richesses dans un petit nombre de mains.»

 

Social and Environmental Dilemmas in Capitalism
Critical Perspectives from Students
SDGzine, #SE5, June 2022

 

 

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