23 octobre 2025 -Anton Vos
«L’attention sera la supercompétence du XXIe siècle»
L’UNIGE propose en janvier 2026 une microcertification de deux jours sur les compétences attentionnelles en milieu professionnel. L’occasion d’explorer les mécanismes de l’attention ainsi que les stratégies pour les renforcer.

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La tyrannie des notifications, la sollicitation permanente des réseaux sociaux, l’appel irrésistible de l’extension de nous-mêmes qu’est devenu le téléphone portable fragmentent notre attention et diminuent notre capacité de concentration. Tout le monde est à même d’en faire l’expérience, quotidiennement. Les scientifiques en mesurent les conséquences en termes de déclin de la lecture, de dégradation du sommeil, d’augmentation de l’angoisse et de surcharge cognitive. Les professionnels des secteurs privés comme publics s’en inquiètent. Quant à l’Université de Genève, elle s’en empare pour faire ce qu’elle sait faire de mieux: une formation. Plus précisément, le Centre pour la formation continue et à distance (CFCD) propose en janvier 2026 une microcertification (lire l’encadré ci-dessous) de deux jours sur les «Compétences attentionnelles en milieu professionnel» sous la direction académique de David Sander, professeur et vice-doyen de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation (FSPE). Deux vendredis seront ainsi consacrés à la compréhension des mécanismes de l’attention et aux stratégies permettant de renforcer la concentration. Explications de Raphaël Zaffran, directeur adjoint du CFCD et codirecteur de la formation en question avec Carole Guedj, maître-assistante au Centre d’imagerie biomédicale (Faculté de médecine) et Eva Pool, professeure assistante à la FPSE et au Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA).
LeJournal de l’UNIGE: Qu’est-ce qui vous a motivé à mettre sur pied cette microcertification sur les compétences attentionnelles?
Raphaël Zaffran: La fragmentation de l’attention, qui s’est accentuée avec l’arrivée récente et massive de l’intelligence artificielle (IA) générative, est un enjeu important pour le domaine de la formation continue. À la suite d’un article que j’ai consacré au défi de la concentration à l’ère de l’économie de l’attention, nous avons été sollicités par plusieurs acteurs du tissu économique et social genevois. Inquiets de l’érosion de l’attention au sein de leurs équipes, ils nous ont confirmé que cette problématique constituait une préoccupation grandissante. Parce que l’attention comporte une dimension cognitive évidente, je me suis associé à Carole Guedj, qui est neuroscientifique spécialisée dans les processus attentionnels. Ensemble, nous avons mené des actions de sensibilisation dans des écoles, des administrations publiques et des entreprises, qui ont confirmé le besoin de formation sur ce sujet. Ma thèse est que la capacité à se concentrer en profondeur est en passe de devenir, si ce n’est déjà le cas, la supercompétence du XXIe siècle.
Que voulez-vous dire?
Que la capacité à se concentrer et à maîtriser son attention constitue une méta compétence, qui soutient un grand nombre d’autres aptitudes. Autrement dit, la capacité à se concentrer en profondeur est une condition indispensable pour l’apprentissage, la créativité, la délibération démocratique ainsi que pour trouver des solutions à des problèmes complexes.
Estimez-vous que cette supercompétence est mise à mal?
Oui. Depuis l’avènement du smartphone qui rassemble dans un seul appareil d’innombrables fonctionnalités et qui ne quitte plus notre poche, nous sommes joignables en permanence. Pour les entreprises commerciales, c’est une aubaine: elles disposent d’un accès direct aux utilisateurs et utilisatrices et peuvent capter leur attention via des notifications à des fins mercantiles. C’est ce qu’on appelle l’économie de l’attention. Bien sûr, nous ne sommes pas tous égaux face à ce phénomène mais le résultat, c’est que nous sommes sans cesse distraits par ces sollicitations qui accentuent la surcharge cognitive, affectent la santé mentale et pèsent sur le monde du travail. On observe d’ailleurs déjà, dans certains recrutements, des tests explicites de la capacité de concentration. Et à terme, on pourrait voir se dessiner une forme de ségrégation sur le marché du travail entre ceux qui parviennent à focaliser leur attention et ceux qui peinent à le faire. D’où mon hypothèse que la concentration est la compétence clé de ce siècle.
Est-ce que l’IA générative accentue les choses?
Nous pourrons déléguer un nombre croissant de tâches et de compétences techniques aux différentes intelligences artificielles. Mais il existe un risque réel de déléguer aussi nos tâches cognitives, notamment l’effort de concentration. Une compétence que l’on exerce moins tend à s’atrophier et devient plus difficile à mobiliser. Il est important dès lors de préserver et de développer des compétences robustes et transversales, comme l’esprit critique, la capacité d’adaptation, la littératie numérique (soit le fait de savoir interagir avec une IA, de rédiger des prompts…) et, bien entendu, la concentration. Nous avons senti un intérêt, mêlé d’inquiétude, pour la question de l’attention. C’est pourquoi nous avons imaginé cette microcertification, qui sera donnée à partir de janvier 2026.
Qu’est-ce qu’elle propose?
D’acquérir des connaissances et des outils permettant de mesurer et d’entraîner les compétences attentionnelles, essentiellement en milieu professionnel. Dans une première partie, nous expliquons les mécanismes neuronaux et cognitifs de l’attention et déconstruisons l’illusion que l’on peut réaliser plusieurs tâches en même temps (multitasking). Nous abordons la crise attentionnelle globale et ses enjeux économiques et nous analysons la manière dont les plateformes et leurs algorithmes captent notre attention. Conçus par des spécialistes, notamment des neuroscientifiques, ces systèmes exploitent et monétisent nos comportements et nos habitudes de navigation. Prendre conscience que lorsque nous sommes happés par des flux de vidéos, nous ne faisons pas pleinement usage de notre libre arbitre mais sommes captifs d’un algorithme constitue déjà un déclic précieux. Ensuite, durant une semaine, les participants et participantes identifient au quotidien les distractions auxquelles ils et elles sont exposées au travail et les consignent dans un «cahier de distractions» spécialement conçu pour la microcertification. Le deuxième jour, nous analysons collectivement ces observations et introduisons des outils d’organisation du temps et de priorisation des tâches. Nous abordons aussi l’impact des émotions suscitées par certains contenus sur la qualité de l’attention. Enfin, et c’est le message clé de notre microcertification, nous montrons que la concentration s’entraîne: le déclin de la capacité attentionnelle n’est pas une fatalité.
Comment peut-on entraîner sa concentration?
Au-delà des outils et des stratégies que nous mettons à disposition, des études très sérieuses indiquent que la méditation et la respiration en pleine conscience, par exemple, en plus de réduire le stress et l’anxiété, peuvent améliorer la capacité de concentration. Par ailleurs, comme je l’expose dans un récent article, la lecture est à la fois une des victimes de la crise attentionnelle et un moyen de la surmonter. On constate en effet un recul de la lecture profonde et de la lecture pour le plaisir. Nous lisons beaucoup sur écran mais souvent en diagonale et par fragments. Or ce n’est pas la même chose que de se plonger dans un livre, un roman, un essai qui exigent une attention soutenue. Plusieurs études indiquent d’ailleurs que la lecture sur écran favorise un traitement plus superficiel et une mémorisation plus faible que sur papier. Dans un environnement toujours plus complexe, médiatisé par les algorithmes et l’IA, où l’information foisonne tandis que l’attention se fait rare, je suis convaincu que la lecture profonde devient un bien commun à préserver.
«Compétences attentionnelles en milieu professionnel»
Microcertification: 2 crédits ECTS
Durée: du 23 janvier au 30 janvier 2026, douze heures d’enseignement en présentiel (sur deux journées non consécutives), trente-huit heures de travail personnel.
Délai d’inscription: 1er décembre 2025
Frais d’inscription: 1250 francs