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Image des mathématiques dans la société un enjeu dans la formation des maîtres

2006-2013

Ce projet amorcé en octobre 2006 a été mené localement au sein de l’équipe DiMaGe et a concerné plusieurs de ses membres (Pierre-Alain Chérix, François Conne, Audrey Daina, Jean-Luc Dorier, Annick Fluckiger). Il s’intégrait par ailleurs, dans un projet plus large soutenu par la région Rhône-Alpes (Cluster 14 « Enjeux et représentations de la science, de la technologie et de leurs usages », axe 4 « Formation scientifique et didactique des sciences », Projet sur « la désaffection des jeunes pour les études scientifiques »).

La question générale de la désaffection des jeunes pour les études scientifiques prend pour ce qui concerne les mathématiques une tournure assez spécifique. Il nous semble qu’au-delà des indicateurs plus ou moins objectifs que les différents rapports ou études ont permis de mettre en avant, en particulier en termes de baisse des effectifs dans les filières mathématiques d’excellence, les mathématiques souffrent d’une « image » négative auprès de la population et des élèves et étudiants en particulier. Le paradoxe souligné par plusieurs auteurs, dont Chevallard, est que les mathématiques n’ont jamais été autant présentes qu’aujourd’hui au quotidien dans les sociétés modernes, alors qu’elles sont de plus en plus invisibles, encapsulées dans des boîtes noires de technologies avancées. Il en résulte que leur impact sur la société est souterrain et que le citoyen du 21ème siècle ne peut percevoir leur utilité dans sa vie quotidienne.

Les mathématiques en tant que discipline scolaire ont aussi eu à souffrir de la mauvaise réception des mathématiques modernes dans le public et de leur fonction de discipline de sélection. Depuis plusieurs années, les changements de programmes successifs ont tenté de montrer que les mathématiques peuvent servir dans la vie quotidienne, et dans les autres disciplines ; évoquer des éléments de leur histoire est aussi apparu comme un moyen de leur redonner une certaine humanité. L’impact de ces modifications, leur réalisabilité et leur pertinence dans les contraintes du système éducatif n’ont fait l’objet que de peu de travaux. De plus, la crédibilité de ces changements est loin de faire l’unanimité dans la communauté mathématique (que ce soit les enseignants ou les chercheurs).

Ces différents facteurs ont joué à notre avis un rôle important sur l’image des mathématiques dans la société et dans l’éducation. A l’époque des ordinateurs puissants, et des calculettes de poche, est-il encore vraiment nécessaire de savoir faire des mathématiques ? On sait que ce type d’idées a été plébiscité par un ministre de l’Education Nationale français et qu’il s’en est suivi un allégement sensible des horaires de mathématiques dans le secondaire. Qu’est-ce que c’est finalement que faire des mathématiques ? Est-ce seulement une discipline pour former l’esprit, ce qui de fait légitimerait sa fonction de sélection scolaire, comme le latin avant elles ? Sont-elles vraiment un moyen d’interroger notre rapport au monde, et participent-elles de ce fait de l’éducation de l’homme de la rue ? Ou ne sont-elles finalement qu’une discipline de service pour les autres sciences et de fait à réserver aux spécialistes ? Ces questions essentielles se doivent d’avoir des réponses au moins partielles qui prennent en compte les contraintes du monde contemporain, de la place des technologies, de la valeur de la science et des missions de l’éducation.

Les enseignants ont bien sûr à jouer un rôle important dans l’image que la société peut se faire des mathématiques. Cet aspect du problème se pose de façon assez nettement différente pour les enseignants du primaire, généralistes, et les enseignants du secondaire et a fortiori du supérieur, ayant une formation disciplinaire spécialisée. Dans ce sens, notre projet a proposé de faire un état des lieux de l’image que les enseignants ont des mathématiques et de leur enseignement et d’en tirer des hypothèses (à vérifier) concernant les effets sur leur pratique.

Cet aspect du travail s’est fait sur la base de questionnaires et d’entretiens individuels. Il a touché, en différenciant les approches, les enseignants (confirmés, débutants ou en formation initiale) du primaire d’une part et du secondaire d’autre part. Dans un dernier temps, nous avons conçu et fait passer un questionnaire à des étudiants en première année des sciences de l’éducation de Genève, dont beaucoup se destinent à devenir instituteurs, à des étudiants de maîtrise de mathématiques et à des étudiants en sciences économiques. Globalement il en ressort que l’image des mathématiques qui se dégage des populations non spécialisées en mathématiques est moins négative et « naïve » qu’on aurait pu le croire. Ces résultats nous ont conduits à affiner nos analyses. Ainsi dans un deuxième temps, nous avons conçu un dispositif plus complexe permettant des analyses plus fines mais à une échelle plus réduite. Nous avons conçu un questionnaire de mathématiques que nous faisons passer par écrit en une heure à un binôme constitué d’un étudiant futur instituteur ou d’un instituteur en poste d’une part et d’un étudiant en maîtrise de mathématiques ou d’un enseignant de mathématiques du secondaire d’autre part. Ces deux (futurs) enseignants sont ensuite invités sous la supervision d’un membre de notre équipe à confronter leurs réponses au questionnaire pendant un entretien d’environ une heure. Par ce dispositif, nous visons à faire émerger des différences significatives dans les rapports aux mathématiques des deux populations. L’hypothèse sous-jacente à notre travail est que les enseignants dès le primaire jouent un rôle décisif sur l’intérêt que les élèves (plus tard étudiants) portent aux mathématiques. Nous voulons voir s’il existe des points cruciaux sur lesquels une différence de rapport significative entre enseignants du primaire et du secondaire peut jouer sur la motivation des jeunes à suivre des études mathématiques. Si c’est le cas, notre travail peut nous permettre de mettre en place un dispositif de formation qui permettrait dans la formation initiale (voire continue) des enseignants de mieux gérer l’interface primaire / secondaire pour permettre une meilleure perception des mathématiques tout au long de la scolarité.