29 février 2024 - Léa Jacquat

 

Analyse

Écrans et enfants: un écosystème en ébullition

La surexposition des enfants aux écrans constitue une préoccupation sociétale majeure. Un séminaire de recherche apporte un éclairage scientifique sur cette thématique complexe.

 

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Image: DR


Comment gérer le temps passé sur les écrans par les enfants? Au sein d’une société hyperconnectée, alimentée par une pléthore d’informations et d’intérêts contradictoires, la préoccupation concernant l’exposition des jeunes enfants aux nouvelles technologies est omniprésente. Le séminaire interdisciplinaire 2024 du Centre Jean Piaget fait le point sur l’avancée des connaissances scientifiques. Chaque mercredi jusqu'au 22 mai, des expert-es, issu-es de disciplines allant de la technologie éducative aux neurosciences cognitives, en passant par la psychologie et la philosophie, démêleront les rouages d’une problématique des plus complexes qui a infiltré l’ensemble des sphères de la société.


La majorité des enfants de moins de 3 ans est aujourd’hui exposée aux écrans entre trente minutes et trois heures par jour, et ce, plus de six jours par semaine. En dix ans seulement, la télévision a laissé place au smartphone comme médium principal de la jeunesse. Cette surexposition n’est pas sans conséquence, les jeunes enfants pouvant notamment rencontrer des difficultés de langage et de sociabilisation. «Face à ces enjeux, les parents sont souvent démunis», constate le professeur Édouard Gentaz (Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation).

La science en adaptation

La science, elle aussi, doit s’adapter à cet écosystème en ébullition. La complexité des facteurs qui entrent en jeu et leur interdépendance rendent la tâche difficile. Si, par exemple, le temps d’exposition semble être une variable idoine à étudier, les données sont difficiles à collecter puisqu’elles sont généralement auto-rapportées et souvent sous ou surévaluées. Elles sont également dépendantes de facteurs socioculturels très divers. Une fois le temps d’écran estimé, «faut-il encore savoir ce que les enfants regardent», rappelle Édouard Gentaz. Si le contenu visionné peut parfois être contrôlé au sein du domicile, l’exposition à des contenus violents par les pairs est par contre difficilement maîtrisable. Une thématique qu’illustre notamment la pornographie, à laquelle sont confronté-es les jeunes dès 8 ans et qui peut entraîner des conséquences néfastes sur leur rapport à l’autre et leur future sexualité.

À ces considérations s’ajoute la question cruciale de l’éthique. Comment, par exemple, étudier l’usage et les conséquences des réseaux sociaux chez les enfants de 10 à 12 ans – qui y sont déjà actifs –, alors que l’âge minimum d’accès est fixé 13 ans par la plupart des plateformes? La recherche doit en outre faire face à une évolution d’une rapidité exponentielle. Le temps de lancer des études sur les effets du smartphone, celui-ci peut déjà devenir obsolète. Et ce, sans même parler de l’intelligence artificielle qui apporte son lot d’interrogations supplémentaires. 

Reprendre le contrôle

«Pour moi, l’important est que les adultes reprennent le contrôle sur cette situation, affirme Édouard Gentaz. Il faut donc se questionner collectivement.» Dans nos sociétés hyperconnectées, proscrire semble tenir du mirage. Pour le professeur, il s’agit donc de trouver des stratégies de remplacement plutôt que de se tourner vers l’interdiction (qui ne sera pas respectée). Ses équipes mènent d’ailleurs actuellement une recherche dans les crèches de l’UNIGE qui va dans ce sens. Concrètement, les parents se lancent des défis réalisables tels que remplacer des moments passés devant un écran par des temps de jeu, d’activité sportive ou manuelle, le tout choisi en famille. Selon l’expert, il est également important de séparer les usages purement récréatifs de ceux à visée éducative, que l’on trouve notamment dans les écoles. Dans certains contextes, le recours à des applications intelligentes peut en effet être très bénéfique pour des apprentissages scolaires personnalisés.

Si certaines solutions se trouvent dans les mains des parents et des enseignant-es, d’autres dépendent de régulations plus globales. Outre le politique, qui se saisit déjà du sujet, des adaptations techniques sont également nécessaires au niveau des GAFAM, estime Édouard Gentaz. Mais dans tous les cas, la contribution de la science sera cruciale.

 

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