9 novembre 2023 - Rachel Richterich

 

Événements

Quand art et science s’allient pour décoder nos émotions

Dans une création présentée à la Salle d'exposition de l'UNIGE, artistes et neuropsychologues utilisent les vibrations sonores pour explorer notre manière d’interagir.

 

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L'artiste Julie Semoroz  explore les effets de la vibration produite par le son dans le corps, comme un voyage dans les profondeurs de l’être. Image: A. Motterle

 

Dans la salle d’exposition de l’UNIGE sont suspendues des impressions de structures organiques, une sculpture nommée fat didi évoquant la myéline, cette gaine qui enveloppe les fibres qui connectent les neurones. «Les lumières ainsi qu’une partie du son de l’installation sont des traductions des données de la NIRS, la spectroscopie proche infrarouge», relate Julie Semoroz. Utilisées au cœur d’une performance intitulée Interspecies communication, elles proviennent des cortex préfrontaux de l’artiste et du danseur Fabio Bergamaschi. Toutes ces installations font partie de la nouvelle proposition que l’artiste vernit ce jeudi, appelée In Between.


Le projet est le résultat de plus de deux ans d’échanges entre Julie Semoroz et le professeur Didier Grandjean, avec son équipe du Centre interfacultaire en sciences affectives (CISA), spécialisé dans les émotions et les phénomènes affectifs. Ce, en étroite collaboration avec le Pôle de recherche national Evolving Language, expert sur les origines et le futur du langage.

Cette alliance originale s’est construite à partir d’un intérêt commun pour le son et pour l’affect: au moment de leur rencontre, le professeur venait d’obtenir un financement pour une recherche sur le rôle des vibrations corporelles provenant de la voix dans l’identification des émotions. L’artiste bruitiste explore, quant à elle, à travers ses performances, les effets de la vibration produite par le son dans le corps, comme un voyage dans les profondeurs de l’être.

De manière générale, l’exposition invite à «interroger notre relation et nos interactions avec notre environnement et, plus généralement, avec le vivant, sur le plan des émotions», souligne Julie Semoroz.

 

Du son diffusé à travers le corps

Plusieurs œuvres sont présentées dans le cadre du projet In Between. L’une d’elles, intitulée Douze mille vingt, se fonde sur les travaux menés par l’équipe de recherche sur l’intéroception. Autrement dit, sur «la manière dont le cerveau interprète les vibrations et les sensations internes du corps – rythme cardiaque, respiration, activité des organes – pour identifier un état physique et, surtout, émotionnel interne», précise le neuropsychologue.

Équipé d’un dispositif d’écoute spécial, le public peut ressentir physiquement le son à travers son corps et est invité à prendre conscience des effets produits par la vibration. À travers des transducteurs, qui convertissent le son en vibration, sont diffusés des voix humaines, des cris d’animaux et des bruits de la nature, enregistrés et retravaillés par Julie Semoroz comme une sculpture sonore, organique et vivante.

Dans une autre œuvre mêlant son et lumière, l’exposition propose d’explorer la synchronisation et la désynchronisation neuronales qui s’opèrent entre les individus. En d’autres termes, la fonction qui permet de créer du lien avec un individu – humain ou non humain – et qui fait qu’on en vient à se sentir sur la même longueur d’onde. «Il s’agit de processus largement automatiques qui consistent à utiliser son propre répertoire de ressentis pour identifier le ressenti d’autrui. Ce, afin de mieux comprendre le monde qui nous entoure et particulièrement les interactions sociales», indique Didier Grandjean.

L’exposition prévoit en outre un atelier ouvert à tous les publics dès 7 ans, une table ronde avec différent-es chercheurs/euses et des musicien-nes de l’ensemble Contrechamps, ainsi que des concerts et performances notamment en collaboration avec le Musée d’ethnographie (MEG).

Pourquoi cette collaboration entre art et science? Et que peut en retirer la recherche? D’une part, elle permet au CISA-UNIGE de communiquer autrement sur la recherche et, d’autre part, elle offre un nouvel angle d’approche. «Il ne s’agit pas seulement d’illustrer ou de vulgariser un questionnement, mais bien de l’aborder avec des regards et des outils différents, susceptibles de l’enrichir et de nourrir la recherche», souligne Carole Varone, responsable de la communication du centre.

Si l’art rejoint la science par sa nature exploratoire et expérimentale, il jouit du terreau fertile de la liberté absolue, car affranchi des innombrables processus de validation qui encadrent la recherche scientifique. De là émerge une complémentarité. «L’artiste vient avec des questions inattendues qui peuvent stimuler les scientifiques et faire prendre des chemins innovants à nos travaux», note Didier Grandjean.

IN BETWEEN

Création de Julie Semoroz
Vernissage le jeudi 9 novembre à 18h

Du 10 au 26 novembre | Salle d'exposition de l'UNIGE


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