Le 25 avril 1974, le Portugal vivait une journée de révolution qui allait provoquer une scission dans l’histoire sociale du pays. Des militaires se sont soulevés en faveur de la démocratie et ont renversé la dictature salazariste qui gouvernait d’une main de fer le pays depuis plus de quarante-cinq ans: une révolution éclair, soutenue par la population, et de surcroît pacifique, en pleine Guerre froide. Dans la mémoire collective reste, pour la plupart des Portugais-es comme à l’étranger, l’image d’une journée de joie collective, de paix et d’œillets au fusil. Si cette date reste saillante, «la période qui suivra est assez confuse, explique Nazaré Torrão. Il m’a semblé important d’inviter des spécialistes afin d’apporter un éclairage nouveau sur ce qu’il est advenu par la suite.»

Une euphorie de transformation
Les années qui ont suivi le 25 avril sont en effet marquées par une profonde transformation de la société et par une grande euphorie populaire emplie de générosité. «Tout le monde voulait participer à la révolution», raconte Nazaré Torrão. L’une des traces de cette effervescence se manifeste, par exemple, à travers l’effort des étudiant-es qui s’organisent pour dispenser des cours à une population à 30% analphabète. Ce taux a depuis lors dégringolé à 3%.

En marge de ces aspects positifs, cette révolution a donné lieu à des excès, comme dans tout événement de ce type, rappelle la spécialiste. Durant les deux années consécutives à cette journée des œillets, de nombreuses divergences sont apparues au sein du nouveau gouvernement sur la marche à suivre. Tentatives de putsch, nationalisation des usines, occupation des propriétés privées et attentats des organisations de droite témoignent du caractère chaotique de cette période post-révolutionnaire. Aux yeux des Portugais-es revenant des colonies, qui accèdent à l’indépendance à la faveur de la révolution, ces heures apparaissent d’autant plus sombres. D’autres encore, prenant peur de ce virage à gauche, quittent le pays.

Une mémoire importante
Durant les décennies suivant cette révolution, la situation sociale et politique du Portugal s’est peu à peu stabilisée, grâce notamment à son adhésion à l’Union européenne en 1986. Dans l’imaginaire collectif de la société portugaise, le pays se considérait comme immunisé contre la résurgence de l’extrême droite sévissant dans les pays européens. Et jusqu’à il y a quelques années, cette vision politique n’avait pas de réelle présence dans le pays. «Nous pensions que la révolution était encore trop présente dans les mémoires , explique Nazaré Torrão. Le Portugal n’a finalement pas échappé à cette tendance, voyant une figure politique aux propos xénophobes et racistes émerger et gagner du terrain au sein du parlement, comme dans l’ensemble des pays voisins.» La chargée d’enseignement voit dans cette résurgence une raison supplémentaire de faire vivre chez les jeunes d’aujourd’hui la mémoire de la révolution et des bouleversements sociétaux qu’elle a engendrés.