Journal n°130

«Chaoborus», la mouche qui lâche des tonnes de méthane dans l’atmosphère

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La larve des mouches appartenant au genre Chaoborus a une manie déplorable. Lorsqu’elle décide de quitter les sédiments lacustres où elle se cache toute la journée, elle gonfle des poches à air avec le gaz disponible dans son environnement et se laisse remonter sans effort jusqu’à la surface de l’eau.

Le système est certes ingénieux, mais, comme le montre une étude parue le 14 mars dans la revue Scientific Report et réalisée par l’équipe de Daniel McGinnis, professeur assistant au Département F.-A. Forel (Faculté des sciences), le gaz en question est souvent du méthane (CH4). Autrement dit, la larve extrait ainsi régulièrement des fonds des lacs, où il était paisiblement piégé, un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement global est 25 fois plus élevé que celui du gaz carbonique (CO2) et le remet en circulation dans l’eau de surface ainsi que dans l’atmosphère.

La petite mouche Chaoborus est présente dans les lacs du monde entier, à l’exception de ceux de l’Antarctique. Au cours de son cycle de vie, elle reste entre un et deux ans sous l’eau à l’état larvaire. Durant cette phase, l’insecte passe ses journées à l’abri des prédateurs et de la chaleur dans les sédiments, parfois sous 70 mètres d’eau. Elle remonte à la surface la nuit pour se nourrir de minuscules crustacés d’eau douce.

La larve extrait
des fonds des lacs
un gaz à effet de serre 25 fois plus efficace
que le CO2

La larve est quasiment transparente et peut mesurer jusqu’à  1 ou 2 centimètres de long. Les scientifiques ont donc rapidement découvert la présence de quatre sacs à air que l’insecte gonfle ou contracte à volonté afin de naviguer entre la surface et le fond de l’eau.
Daniel McGinnis et ses collègues ont cependant cherché à comprendre comment la larve s’y prend pour gonfler ses poches à 70 mètres de profondeur, là où la pression de l’eau rend une telle opération impossible pour un si petit animal.

Il se trouve que les sédiments anoxiques (c’est-à-dire dépourvus d’oxygène) que Chaoborus affectionne contiennent de grandes quantités de méthane. Étant très peu soluble dans l’eau, ce gaz forme des petites bulles sur lesquelles, d’après les observations des chercheurs, les larves viennent se fournir pour gonfler leurs sacs à air lorsque l’heure de remonter à la surface a sonné. Ce mécanisme permet à l’insecte d’économiser jusqu’à 80% de l’énergie qu’il dépenserait s’il devait nager.

Ces insectes pourraient envoyer entre 7 et 400 mille tonnes de carbone dans l’atmosphère par année

Grâce à une série d’expériences, les auteurs de l’article ont démontré qu’une grande partie du méthane que les larves ont aspiré est en fin de compte relâchée dans l’atmosphère, contribuant ainsi directement au réchauffement climatique.

Les surfaces d’eau douce sont responsables de 20% des émissions naturelles  de méthane dans l’atmosphère. La concentration de larves de Chaoborus dans les sédiments varie entre 2000 et 130 000 individus par mètre carré. Leur contribution à l’effet de serre pourrait donc bien être, à elle seule, significative. Et ce d’autant plus qu’à chaque entrée et sortie des sédiments, les larves ont assez de force pour perturber les dépôts et permettre à des bulles de méthane de s’échapper vers la surface.

Dans une estimation très large, les auteurs ont calculé que ces insectes pourraient envoyer entre 7 et 400 mille tonnes de carbone dans l’atmosphère par année.

C’est avant tout la mauvaise qualité de l’eau, en particulier la surabondance de nutriments, qui favorise la prolifération des larves de Chaoborus. Pour réduire ces populations nuisibles, les auteurs préconisent un meilleur contrôle de l’agriculture et du traitement des eaux usées.