Journal n°72

Charles Bonnet, de l’église médiévale aux pharaons noirs

La Fondation pour Genève remettra son Prix 2013 à l’archéologue Charles Bonnet. L’Université s’associe à l’événement pour rendre hommage à ce chercheur qui s’est engagé sa vie durant pour le patrimoine genevois et international

Le mercredi 6 mars prochain au Victoria Hall, la Fondation pour Genève, à laquelle l’Université de Genève s’associe pour l’occasion, décernera son Prix 2013 au professeur et archéologue Charles Bonnet. Ils vont ainsi rendre hommage à cette personnalité genevoise dont l’engagement sans relâche depuis quarante ans a fait de Genève un pôle d’excellence de l’archéologie tant médiévale que nubienne.

De la vigne à la pierre
Né à Satigny en 1933, Charles Bonnet grandit dans une famille de viticulteurs. Autorité paternelle oblige, c’est une école d’agriculture puis de viticulture qu’il fréquente. Au terme de sa formation de vigneron, il part avec un ami féru de montagne en Amérique du Sud. Il passe ainsi une année entre ascensions de sommets et visites de sites historiques et participe même à une fouille archéologique. C’est le début d’une passion.
De retour à Genève, il partage son temps entre son activité de viticulteur et les bancs de l’Université pour passer un diplôme en sciences orientales. Il mène sa première fouille à Choully où il exhume des thermes romains.
Puis un voisin l’informe de la découverte d’un chapiteau sur son chantier de construction. C’est l’église de Saint-Jean qu’il fouillera avec l’accord de l’archéologue cantonal qui en fait son adjoint. Il monte une équipe qui deviendra celle du Service cantonal d’archéologie. Fouilles, restauration d’églises, Charles Bonnet s’engage corps et âme et bénévolement pour valoriser le patrimoine genevois.

Méthode innovante
Charles Bonnet, qui a été professeur à l’UNIGE, figure à l’heure actuelle parmi les meilleurs spécialistes dans le domaine de l’archéologie médiévale, en particulier de l’archéologie chrétienne qui s’occupe principalement des églises du premier millénaire. Il y est parvenu grâce à l’excellence de sa méthode de recherche qui contrastait avec l’approximation des fouilles et des analyses généralement pratiquées par la plupart des archéologues-historiens de l’époque.
Charles Bonnet a en effet adopté une méthode d’identification des phases de construction fondée sur l’analyse et le dessin pierre à pierre des structures. Il a par ailleurs milité pour le principe des fouilles longue durée qui engageait tous les protagonistes concernés, de l’architecte au politicien en passant par l’ecclésiastique. Il mit ainsi en place une archéologie du bâti qui prend en compte, en plus de la fouille planaire, la rénovation des bâtiments dans leur ensemble. Les fouilles qu’il a menées, pendant plus de trente ans, avec ses collaborateurs à la cathédrale Saint-Pierre de Genève ont permis à ce monument de devenir l’un des sites majeurs de l’archéologie urbaine d’Europe. Grâce à ces fouilles, l’image de la Genève antique et médiévale s’est beaucoup enrichie. La publication du second volume Les Fouilles de la cathédrale Saint-Pierre de Genève, paru en 2012, est venu clore cette recherche d’exception.
Depuis plus de trente ans, Charles Bonnet a également mené une carrière parallèle au Soudan où il dirige les fouilles de l’ancienne capitale nubienne de Kerma. Il devient ainsi une référence obligée de l’archéologie nubienne ancienne. C’est le hasard qui l’y a conduit, en 1965, lorsqu’il se rend compte que fouiller en Egypte serait trop compliqué. Avec ses collègues universitaires, il décide de descendre plus au sud sur le territoire nubien. Après quelques tâtonnements sur le site de Tabo dans l’île d’Argo, Charles Bonnet décide d’entamer des fouilles à Kerma, un site situé à 500 km au nord de Khartoum.

Site stratégique
La région de Kerma est au centre de la Nubie, à quelques kilomètres en amont de la Troisième cataracte, soit à un endroit stratégique permettant de contrôler les communications le long de la vallée du Nil. Elle s’ouvre sur la plus vaste plaine alluviale du nord du Soudan. Ces conditions naturelles ont joué un rôle important dans la dynamique démographique de cette région et expliquent en partie sa richesse archéologique, que ce soit pour les périodes préhistoriques ou historiques.
Les travaux gigantesques que l’archéologue genevois y a menés, à raison de trois mois chaque hiver depuis quarante ans, ont permis d’écrire un chapitre entier de l’histoire des civilisations nubiennes.
En janvier 2003, Charles Bonnet y fait une extraordinaire découverte. Au fond d’un trou de 3 m de profondeur, oubliées de l’histoire pendant deux millénaires et demi, sept statues monumentales de pharaons noirs apparaissent sous la truelle de l‘archéologue. Ces pharaons ont régné sur l’Egypte et le Soudan durant un siècle, de 750 à 650 ans avant J.-C.


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