Journal n°95

«La délinquance touche 2% des jeunes»

Olivier Boillat est juge au Tribunal des mineurs de Genève et chargé de cours à la Faculté de droit. Il fait part de son expérience face aux jeunes en difficulté. Entretien.

On parle beaucoup du malaise de la jeunesse. Certains réclament plus de sévérité face aux délinquants. Quel est votre point de vue sur la question en tant que juge?

Olivier Boillat: J’ai l’habitude de dire que nous sommes les moins bien placés pour parler de la jeunesse. La population âgée entre 10 et 18 ans représente environ 10% de la population genevoise. Sur cette tranche, nous ouvrons environ 2000 procédures par année, dont un grand nombre pour des infractions mineures aux TPG ou de type contraventionnel. Au final, le problème de la délinquance touche à peu près 2% des jeunes. Nous avons donc un regard sur une très petite minorité qui n’est pas représentative de la jeunesse dans son ensemble. Ensuite, je n’utilise pas le terme de délinquants pour qualifier ces jeunes. Et je suis très heureux que quelqu’un de beaucoup plus qualifié que moi pour parler de la jeunesse comme Jean Zermatten emploie l’expression de jeunes en conflit avec la loi.

Pourquoi cette distinction?

La stigmatisation est la meilleure façon de maintenir ces jeunes en marge de la société. Je préfère considérer qu’ils ont encore, à leur âge, la possibilité d’évoluer et de trouver leur place dans la société. C’est d’ailleurs la raison d’être de la justice des mineurs.

Cela signifie qu’ils sont moins responsables qu’un adulte?

La justice pénale des adultes est fondée sur la répression de l’acte. Il y a une équation entre infraction et sanction. Dans le cas des mineurs, on donne une réponse différente parce qu’on estime que le jeune peut encore évoluer dans le bon sens. Ce qui ne signifie pas que l’on va l’excuser pour son acte. Mais on va considérer ce dernier en tenant compte de sa situation personnelle et en se plaçant d’emblée dans une perspective visant à le remettre sur les bons rails. Pour une même infraction, la sanction sera donc différente selon les cas.

Quels types de sanctions sont prévus par la loi?

Nous prononçons des sanctions et/ou des mesures. Les sanctions vont du simple avertissement à la privation de liberté. Celle-ci peut être prononcée à partir de 15 ans, pour une année au maximum entre 15 et 16 ans, quatre ans au maximum entre 16 et 18 ans. Mais les sanctions les plus courantes sont les prestations personnelles, le pendant du travail d’intérêt général chez les adultes, pour une durée de dix jours au maximum jusqu’à 15 ans, jusqu’à trois mois entre 16 et 18 ans.

Et les mesures?

La mesure la plus clémente est une surveillance. On s’assure que le jeune va bien à l’école, par exemple. On peut ensuite réclamer la participation active d’un éducateur ou d’un assistant social pour seconder les parents. Dans les cas les plus difficiles, on demande le placement en institution. Le mineur est éloigné de sa famille et dans certains cas placé en milieu fermé pour une durée indéterminée.

Ce qui est une décision très lourde à assumer…

Oui, mais le placement se fait très rarement sans l’accord des parents. Souvent, ce sont même eux qui le réclament parce qu’ils n’arrivent plus à faire face à une situation. Il nous arrive d’ailleurs de le refuser. Nous estimons en effet que la place de l’enfant est dans sa famille, même lorsque celle-ci dysfonctionne. Et, lorsque c’est possible, il est toujours préférable de faire intervenir un assistant social pour aider les parents.

Parvenez-vous à mesurer l’efficacité de ces mesures?

C’est très difficile. Nous n’avons pas les moyens de suivre ces jeunes une fois qu’ils sont sortis du giron de la justice des mineurs. Nous constatons toutefois que la délinquance n’explose pas. Elle est même en diminution. Il faut être prudent, car je pense que c’est cyclique, mais il semble en tout cas que nous ne soyons pas complètement dans le faux.

Y a-t-il une évolution dans le type de délits commis?

Très peu. Les infractions sont toujours du même type: consommation de stupéfiant, infraction routière, vol d’usage, lésions corporelles simples. Plus rarement, du racket et d’autres formes de brigandages ou d’extorsion. Ce qui est nouveau, ce sont les délits déclenchés par les réseaux sociaux, suite à des menaces ou des rumeurs, des jeunes filles qui se photographient dénudées qui envoient ces photos à des personnes qui les diffusent ensuite sur Internet.


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