Journal n°139

Délocalisation: une tradition bien de chez nous

image-8.jpgSi la problématique de la délocalisation est souvent associée à la période de mondialisation récente, caractérisée par l’ouverture des marchés et les progrès dans le domaine des transports et des télécommunications, elle est en réalité loin d’être nouvelle dans le cas helvétique.

En 1924 déjà, l’économiste Albert Masnata soulignait que «parmi les problèmes économiques mis en évidence par la crise industrielle […], celui de l’émigration des industries suisses à l’étranger est certes l’un des plus importants. La baisse extraordinaire des changes étrangers, dressant un obstacle apparemment insurmontable à l’exportation suisse, de même que les perspectives peu encourageantes d’un avenir incertain décidèrent plusieurs chefs d’industrie soit à transporter leurs ateliers en pays étrangers, soit à y créer des succursales.» Partant de là, l’objectif de ma thèse est de comprendre comment le débat sur les délocalisations est problématisé dans des contextes historiques différents, quels sont les acteurs impliqués et quelles stratégies se dessinent pour influer sur ce processus.

Exemple: dans les années 1920 que décrit l’historien précité, le problème du franc fort est mis en avant comme frein aux exportations et fait en ce sens écho à l’actualité. Mais la comparaison s’arrête là: la période d’entre-deux-guerres est en réalité marquée par une montée des barrières douanières que la délocalisation permet de contourner. C’est donc le protectionnisme et non le libéralisme qui est à l’origine du phénomène. Les délocalisations suscitent alors des inquiétudes, surtout dans l’horlogerie, ce qui conduira à l’adoption du statut horloger en 1934, régulant l’ouverture de nouvelles succursales.

Autre discours durant les Trente Glorieuses, où même les syndicats sont favorables aux délocalisations! Dans un contexte de croissance et de plein-emploi, on préfère se concentrer sur les activités à haute valeur ajoutée. La production se fait ailleurs, à moindre coût. Aussi, les syndicats préfèrent «amener les machines à l’étranger, plutôt que les travailleurs en Suisse», afin de se protéger contre la concurrence des immigrés.

Deux conclusions s’imposent dès lors. D’abord, les controverses actuelles s’enracinent dans des thèses qui jalonnent tout le long du XXe siècle. Ensuite, la désirabilité sociale des délocalisations est influencée par différents paramètres variant au cours du temps: conjoncture, marché du travail, politique migratoire, management, etc. —

CONCOURS
Ma thèse en 180 secondes, prochaine session au printemps 2018