Journal n°145

«Lost in translation»: quand le droit pénal change de sens

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Vous est-il déjà arrivé de vous rendre compte, au beau milieu d’une conversation, que vous et votre interlocuteur ne parliez pas du tout de la même chose? Vous êtes-vous alors senti lost in translation dans votre propre langue?

Cela vient du fait que la communication, même celle entre locuteurs d’une même langue, n’est jamais parfaite. Un message est rarement compris, interprété et transmis de la même manière d’un locuteur à l’autre.
Les écarts entre le message exprimé et le message compris relèvent parfois de la futilité et sont sans effet, il  arrive également que l’abîme entre eux soit si profond qu’ils provoquent des effets adverses ou préjudiciables. Cette problématique se pose avec une grande acuité lorsque le message porte sur un sujet sérieux, comme le droit international pénal, qui a vocation à être traduit dans les langues des pays qui y adhèrent et à trouver une application concrète dans leurs tribunaux. Or, si la communication entre locuteurs de même langue n’est jamais parfaite, imaginez celle entre locuteurs de plusieurs langues, en l’occurrence 48 traductions pour le droit pénal international. Il y a tout lieu de s’interroger sur ce qu’il adviendra du message et il y a fort à parier qu’il subira des transformations, petites et grandes.
Dans ma thèse, je propose justement de déterminer à quel point une notion clé du droit international pénal se transforme lorsqu’elle est traduite dans un très grand nombre de langues juridiques. Aux fins de l’exercice, je prends à témoin la définition de génocide, que l’on trouve dans le Statut de Rome et qui a été adoptée, par consensus, par la communauté internationale. Je la compare aux traductions qu’en ont ensuite faites les pays afin de l’intégrer à leur droit pénal, relevant la moindre nuance de sens, de la plus subtile à la plus flagrante. De la sorte, je peux déterminer le degré d’écart entre la définition internationale et les définitions nationales.
Les résultats préliminaires indiquent qu’une fois traduite à grande échelle et de manière tentaculaire par les pays, la définition de génocide n’est plus tout à fait la même. Cela soulève une deuxième question, encore plus pressante que celle de la transformation du message : quels sont les effets de ces transformations sur les procès mettant en cause des personnes accusées de génocide? Les tribunaux interprètent-ils uniformément le crime de génocide malgré les différences sémantiques que l’on trouve dans les définitions nationales? C’est ce que je compte bien découvrir. —

Concours
Bref, je fais une thèse
Finale nationale: 7 juin 2018, Université de Fribourg