«Choc des civilisations», «grand remplacement», «guerre culturelle»: que ce soit en Europe, à propos de la place de l’islam dans la société, ou aux États-Unis, en référence à la montée en puissance du fondamentalisme évangélique et de l’intégrisme catholique, on assiste depuis le début des années 2000 à la résurgence d’un champ lexical apparu dans la seconde moitié du XIX^e siècle, dans le cadre du «Kulturkampf». Un épisode historique qui s’est traduit par la mise en place d’un mode de cohabitation entre l’Église et l’État propre au continent européen et affirmant simultanément la prédominance absolue de l’État souverain et la garantie des libertés publiques, dont la liberté religieuse. En prenant en compte quatre pays (France, Allemagne, Suisse, Italie), Sarah Scholl, professeure en histoire du christianisme (Faculté de théologie), s’efforce ici de mettre en évidence les convergences propres à cette période plutôt que les spécificités nationales. Elle en tire cinq enseignements majeurs qui constituent autant de pistes pour appréhender l’actualité récente. Premièrement, pour gérer la diversité religieuse et irréligieuse, les États ont dû organiser des espaces publics neutres confessionnellement. Deuxièmement, le religieux a résisté en grande partie aux transformations voulues par le politique, sans pour autant rester figé et inchangé. Troisièmement, les contraintes et les persécutions étatiques ont eu tendance à revitaliser les appartenances confessionnelles. Quatrièmement, en régime de liberté, la participation politique des croyants a fait partie très rapidement du jeu démocratique. Cinquièmement, la neutralité religieuse de l’État est apparue comme le meilleur modèle pour concilier la démocratie avec la liberté des cultes. Le tout, avertit cependant l’auteure, a débouché sur un équilibre fragile auquel a succédé avec une rapidité effrayante l’ère des nationalismes meurtriers et la gigantesque boucherie qui s’est ouverte à l’été 1914.