17 novembre 2022 - Anton Vos

 

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Mortelle heure d’hiver

Le passage à l’heure d’hiver correspond à une augmentation légère mais significative de la mortalité en Europe. L’heure d’été coïncide, au contraire, avec une baisse d’ampleur similaire.

 

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Depuis les années 1970, les montres reculent d'une heure le dernier dimanche d'octobre. Cette opération entraîne une  hausse légère mais significative de la mortalité. Image: AdobeStock

 

Reculer sa montre d’une heure en automne n’est pas un geste anodin. Cette perturbation arbitraire du rythme biologique circadien est suivie, durant deux semaines, par une augmentation, légère mais significative, de la mortalité dans les populations européennes. Curieusement, l’action visant à se mettre à l’heure d’été au printemps produit l’effet inverse, soit une diminution d’amplitude similaire de la mortalité durant les quinze jours qui suivent le changement. C’est ce qui ressort d’une étude parue le 14 novembre dans Nature Communications et menée par une équipe internationale dirigée par François Herrmann, professeur au Département de réadaptation et gériatrie (Faculté de médecine) et aux Hôpitaux universitaires de Genève. L’article, qui constitue le travail de thèse en médecine de son doctorant, révèle également un schéma de mortalité sur sept jours (avec un minimum les dimanches et un maximum les lundis) qui persiste toute l’année, indépendamment des variations saisonnières, mais seulement chez les hommes et les femmes âgé-es de plus de 40 ans.

 

L’Europe de l’Ouest est soumise depuis les années 1970 à un changement d’horaire deux fois par an – initialement mis en place pour des questions d’économie d’énergie –, qui touche actuellement une population estimée à 447 millions d’habitant-es. Les horloges sont avancées d’une heure le dernier dimanche de mars et reculées d’autant le dernier dimanche d’octobre. En 2019, un panel d’expert-es internationaux/ales demande la suppression de cette mesure, devenue désuète en termes économiques et écologiques, en avançant de possibles effets néfastes sur la santé publique. Il est suivi une année plus tard par l’Académie américaine de médecine du sommeil. En 2021, le Parlement européen propose de mettre fin au changement d’heure saisonnier mais le manque de données médicales et la survenue de la crise du covid repoussent la décision à une date indéterminée.

Risque augmenté
«Il existe de nombreuses études qui suggèrent qu’un désalignement circadien d’une heure serait suffisant pour entraîner des conséquences néfastes sur la santé d’une population qui manquerait déjà chroniquement de sommeil et dont une majorité présenterait ce que l’on appelle un jet-lag social (c’est-à-dire que leur rythme circadien n’est pas en accord avec les contraintes horaires imposées par la société), précise François Herrmann. Certaines de ces études ont montré que le changement d’horaire au printemps ou en automne, qui est un désalignement circadien, pourrait être associé à un risque augmenté de voir certaines pathologies (infarctus du myocarde, accident vasculaire cérébral…) se développer et les accidents de la route être plus fréquents. Notre étude a tenté de comprendre s’il pourrait être associé à une quelconque modification de la dynamique de mortalité sur le continent européen.»

L’étude en question s’appuie sur les statistiques nationales de mortalité quotidienne de 16 pays européens, dont la Suisse, et couvre une période allant de 1998 à 2012. En tout, cela correspond à environ 60 millions de décès au sein d’une population qui est passée de 396 à 422 millions d’habitant-es en quinze ans. Les données ont été «ajustées» de manière statistique à un grand nombre de paramètres afin de minimiser les biais possibles liés à l’année (la mortalité tend à diminuer entre 1998 et 2012), aux saisons (on meurt plus en hiver qu’en été), aux mois, aux jours de la semaine, au sexe (les hommes sont plus fragiles que les femmes), aux groupes d’âges (divisés en décennies), à la luminosité (calculée d’après les lieux de décès) ainsi qu’aux données météorologiques quotidiennes.

Résultat: la mortalité augmente de 1,8% la première semaine suivant le changement d’horaire en automne et de 2,3% la deuxième. Dès la troisième semaine, l’effet s’estompe et n’est plus significatif. Au printemps, la mortalité diminue de 3,6% la première semaine et de 2,9% la deuxième avant de retrouver des valeurs normales. De tous les pays étudiés, la Suisse est celui où l’on meurt le moins (13,5% de moins qu’en Autriche, choisie comme référence), tandis que la Croatie (+43,5%) et la Pologne (+36,7%) occupent le sommet du classement.

L'heure de trop
«Expliquer l’impact des désalignements circadiens sur la mortalité n’est pas chose aisée, commente François Herrmann. La majeure partie des études qui se sont penchées sur cette association l’ont fait en utilisant le travail de nuit comme source de perturbation circadienne. Bien que nous disposions de nombreuses études fondamentales pour expliquer les mécanismes des perturbations circadiennes sur la santé, nous manquons d’études cliniques et épidémiologiques s’intéressant à d’autres types de désalignements circadiens et se focalisant sur le problème de la mortalité.»

À propos du décalage horaire au printemps, qui serait, selon la littérature scientifique, censé accroître la perturbation circadienne des individus, les auteur-es estiment qu’il est trop tôt pour avancer des explications sérieuses et plaident pour que d’autres études soient menées.

Le pic du lundi
L’autre résultat important de l’étude genevoise est le creux de mortalité durant le week-end, suivi du pic du lundi qui s’observe quelle que soit la saison et quelle que soit l’année. Entre le dimanche et le lundi, la mortalité augmente en effet de 2,9% en moyenne. Les chercheur-euses ont pu écarter les biais de détection et de déclaration selon lesquels les décès ne seraient enregistrés que le jour de la découverte du corps ou de sa déclaration administrative. Les deux hypothèses sont contredites par des observations dans des sous-groupes de la population. Les données montrent en effet que les décès de personnes âgées en institution (surveillées tous les jours) suivent le même profil que celles mortes seules à domicile (qui pourraient créer l’effet «lundi»). Par ailleurs, la courbe de mortalité des jeunes hommes entre 20 et 40 ans est inversée. Pour ces derniers, les jours de semaine, consacrés aux études ou au travail, sont plutôt favorables à la vie tandis que les samedis et dimanches sont plus dangereux en raison probablement de la pratique d’un sport, d’une plus grande exposition à la violence durant la vie nocturne et des accidents de la circulation.

Dans leur article, les auteur-es avancent également l’idée que la baisse de la mortalité du week-end dans la population générale pourrait être expliquée par davantage d’activités sociales et domestiques en famille, par un temps de sommeil plus long et par une moins grande exposition à des situations dangereuses. La dernière hypothèse est celle de la pollution atmosphérique liée à l’activité industrielle et au trafic routier, qui, logiquement, diminue le samedi et encore plus le dimanche, avant de connaître une nouvelle hausse dès le lundi. L’étude genevoise ne contient cependant pas de données sur les causes de décès ni sur les taux de polluants. Ce sera l’objet de recherches futures menées par l’équipe de François Herrmann, qui viseront à mieux comprendre comment les causes de mortalité se distribuent tout au long de l’année, et quelle place pourrait jouer le rythme circadien dans ces variations de mortalité.

 

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