4juillet 2022 - Anton Vos

 

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Il est temps de réchauffer le «climat froid» néfaste aux carrières académiques féminines

À l’encontre des études sur la question, les universitaires justifient la différence de réussite professionnelle entre femmes et hommes par des facteurs liés aux différences de genre et négligent les raisons systémiques associées à l’organisation de l’institution.

 

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Image: DR


Sur un sujet aussi délicat et complexe que les inégalités de carrière entre les femmes et les hommes à l’université, il vaut mieux poser le bon diagnostic si l’on veut apporter le bon remède. Dans un article paru le 3 juin dans la revue Journal of Applied Social Psychology, la Dre Klea Faniko, chargée de cours à la Section de psychologie (Faculté de psychologie et sciences de l’éducation), et ses collègues montrent que cet objectif n’est pas encore atteint et que les fausses représentations sont encore dominantes, même, et surtout, chez les principales personnes concernées.

 

Les chercheurs et les chercheuses auprès d’une université européenne, qui ont été interrogé-es dans le cadre de cette étude, ont en effet tendance à justifier la différence de réussite professionnelle entre femmes et hommes par des facteurs individuels. Cette fausse représentation est générée par les biais de genre (manque d’intérêt ou de motivation des femmes pour une carrière académique, difficultés à allier vie professionnelle et vie privée, etc.). En même temps, les participant-es négligent les facteurs systémiques (sexisme ambiant, manque de soutien de la hiérarchie, attitude négative vis-à-vis de la maternité, etc.), alors que de nombreuses études les ont identifiés comme étant les causes principales des inégalités de carrières féminines et masculines.

Plus spécifiquement, ce «climat froid» (ou chilly climate, termes désignant l’ensemble de ces facteurs systémiques) défavorable aux femmes est rapporté comme une expérience vécue (directement ou indirectement) sur le lieu de travail par près de trois personnes interrogées sur quatre. Paradoxalement, il n’est effectivement reconnu comme pertinent pour l’avancement de la carrière des femmes que par un tiers d’entre elles.

«Ces résultats révèlent l’existence d’angles morts dans les discours de la grande majorité des académiques, précise Klea Faniko. Ils montrent aussi l’impact des biais de genre dans leur raisonnement.»

Concrètement, l’étude conçue par Klea Faniko, en collaboration avec Naomi Ellemers et Belle Derks, professeures à l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas, est composée de deux parties. Dans l’une, quantitative, les autrices ont demandé à 661 chercheurs et chercheuses (occupant des postes allant de doctorant-e à professeur-e ordinaire) de répondre à un questionnaire sondant leur motivation à progresser dans leur carrière, le niveau de soutien reçu ainsi que leur perception du sexisme sur leur lieu de travail. Dans l’autre, qualitative, elles ont interrogé 84 personnes de la même institution sur les raisons pouvant expliquer, en général, la différence de progression de carrière entre les femmes et les hommes.

 

Les femmes savent très bien allier vie professionnelle et familiale

L’analyse des réponses collectées dans la première partie ne montre aucune différence entre les hommes et les femmes dans la motivation pour effectuer une carrière académique. Tandis que, dans la seconde, toutes les personnes (aucune différence n’a pu être mesurée entre les sexes) citent comme obstacles importants à la carrière universitaire des femmes les problèmes liés à la conciliation de la vie privée avec la vie professionnelle, ainsi que le manque de confiance et d’ambition des femmes.

«En d’autres termes, l’étude quantitative met en lumière le fait que les femmes ne sont pas freinées dans leur carrière par un quelconque manque de motivation ou d’envie, analyse Klea Faniko. Cette constatation confirme ce que d’autres études observent depuis de nombreuses années et selon lesquelles les femmes savent aussi, pour la plupart, très bien allier leur vie professionnelle et familiale. Mais lorsqu’on demande ce qui peut, dans l’absolu, freiner la carrière des femmes, comme on l’a fait dans l’étude qualitative, les stéréotypes reviennent au galop, aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Et on reparle de motivation et d’équilibre entre travail et famille. Cela dit, avoir des préjugés n’est pas un problème en soi. Tout le monde en a, cela fait partie de la nature humaine. Il faut néanmoins être conscient de cette réalité et du fait qu’elle peut avoir des conséquences, en l’occurrence sur la carrière des femmes.»

Selon les autrices, leur étude met le doigt sur un point faible de nombreuses politiques visant à soutenir la carrière des femmes dans les grandes institutions. En effet, la plupart reposent sur une vision de la «femme déficitaire». Les mesures de promotion de l’égalité qui découlent de cette vision visent à combler les manques ou faiblesses qui résulteraient de la socialisation sexuée des femmes. Elles tendent à «corriger» les femmes en tant que groupe, mais pas le fonctionnement de l’institution et les relations entre les membres de celle-ci. En réalité, estiment les chercheuses, il faudrait plutôt envisager des mesures supplémentaires visant à «corriger» le chilly climate qui caractérise les comportements et les interactions au sein de l’environnement organisationnel afin de changer la façon dont les femmes sont perçues par leurs collègues et supérieurs et de promouvoir le développement de bonnes pratiques qui identifient, préviennent et traitent avec succès les comportements sexistes.

«Dans ce domaine, l’Université de Genève est en avance, souligne Klea Faniko. Après avoir mené une campagne contre le sexisme et le harcèlement avec le Service égalité et diversité, le Rectorat montre une réelle volonté de corriger l’organisation de l’institution en matière de sexisme, de harcèlement et de mobbing, et fait preuve de transparence, notamment en publiant pour la première fois dans le Rapport de gestion 2021 des informations sur les situations de harcèlement et leur gestion. Ces actions visent à réduire les obstacles institutionnels auxquels les chercheuses se heurtent, tout en contribuant à la création d’une culture égalitaire et inclusive.»

 

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