Aujourd’hui en Suisse, les barrages hydroélectriques et les centrales nucléaires, faibles émetteurs de GES, assurent l’essentiel de la production électrique. Mais le pays est malgré tout obligé, bon an mal an, d’importer annuellement 11% de l’électricité qu’il consomme en raison de ses besoins hivernaux. Cette part possède une empreinte carbone importante car elle est produite dans une large mesure par des centrales à énergies fossiles (charbon, gaz ou pétrole). Or, on estime que ces installations génèrent un quart du total des gaz à effet de serre émis à l’échelle européenne. Une grande part de l’électricité ainsi importée par la Suisse est notamment produite par des technologies fossiles allemandes dont la contribution est nécessaire pour compenser les situations de pénurie de capacité au niveau européen.
Vers le zéro carbone
Par ailleurs, les voitures particulières fonctionnant à l’essence ou au diesel ainsi que les systèmes de chauffage des bâtiments font partie des plus importants contributeurs aux émissions de GES. A priori, si les premières devenaient toutes électriques et si les seconds étaient remplacés par des pompes à chaleur, il semble évident que la quantité de CO2 émise par la Suisse devrait chuter. Le problème, c’est qu’il faudrait, pour soutenir cette transition, produire beaucoup plus d’électricité. Et ce que l’étude genevoise met en lumière, c’est qu’un tel changement ne s’accompagne pas immédiatement d’une réduction à zéro de l’empreinte carbone.
«Nous avons développé sept scénarios différents permettant de répondre à cette évolution, explique Elliot Romano. Ils incluent à des degrés divers le solaire, l’éolien et l’hydraulique, le tout avec et sans l’utilisation du nucléaire, puisque la Confédération envisage une sortie progressive de ce mode de production d’ici à 2050. Nous avons également pris en compte l’approvisionnement depuis l’étranger, essentiel pour répondre à la demande en période hivernale.»
Il ressort de l’analyse, menée en collaboration avec l’équipe de Martin Rüdisüli, chercheur à l’Empa (le Laboratoire fédéral d’essai des matériaux et de recherche), que le scénario optimal serait de mêler production photovoltaïque et éolienne tout en se passant du nucléaire.
La quantité d’énergie supplémentaire que le photovoltaïque et l’éolien devraient produire n’est cependant pas anodine. Il s’agit en effet de faire passer la production actuelle d’énergie solaire de 2,72 térawattheures (TWh, ou 1000 milliards de wattheures) à 25 et celle d’énergie éolienne de 0,13 à 12 TWh. Au rythme actuel, plusieurs décennies seront nécessaires pour atteindre ces objectifs.
«Miser uniquement sur le photovoltaïque ne permettra pas de diminuer de manière optimale les émissions de gaz à effet de serre, expliquent les auteur-es. Cela est dû à sa variabilité saisonnière et diurne, avec une production excédentaire importante en été à midi et une production déficitaire en hiver et la nuit, ce qui nécessite des importations massives d’électricité très carbonée. En complétant par de l’éolien, dont la production a lieu principalement en hiver et la nuit, on peut éviter une grande partie de ces importations.»
La perception du vent
Le problème, c’est que, pour l’instant, l’acceptation sociale de l’énergie éolienne en Suisse n’est pas au meilleur de sa forme. De fortes oppositions de riverain-es, parfois favorables aux grandes hélices sans pour autant les accepter dans leur paysage, ont en effet accompagné le développement de cette source d’énergie. Son potentiel dans la diminution de l’empreinte carbone du pays montre toutefois la nécessité de réévaluer la perception de cette source d’énergie auprès de la population.
Quoi qu’il en soit, si le scénario proposé par les scientifiques genevois-es devait se réaliser, les auteurs et autrices de l’article estiment qu’il aurait comme effet inévitable d’augmenter largement les importations d’électricité. Il en résulterait mécaniquement une hausse significative de l’empreinte carbone liée à la consommation électrique suisse, la faisant passer de 89 à 131 g de CO2 par kWh.
L’effet global serait malgré tout positif puisque, dans son ensemble, l’électrification de la mobilité et du chauffage (et donc l’abandon du diesel, de l’essence et du mazout) devrait diminuer de 45% la contribution de la Suisse aux émissions globales de gaz à effet de serre.
«Power to gaz»
«Si cela prend du temps d’éliminer totalement l’empreinte carbone, c’est qu’il n’est pas possible de se passer entièrement des importations, précise Elliot Romano. La capacité de stockage à long terme de l’énergie électrique en Suisse n’est en effet pas suffisante pour nous permettre de déplacer la production de la saison estivale (excédentaire) vers la saison hivernale (déficitaire). Les barrages n’offrent pas une capacité suffisante pour nous venir en aide. La solution pourrait être celle du power to gaz, c’est-à-dire que l’on utiliserait l’excédent d’électricité pour fabriquer du gaz d’hydrogène qui peut ensuite nous servir de carburant pour produire de l’électricité ou faire fonctionner des moteurs. Mais dans l’état actuel des choses, cela reste de la musique d’avenir.»
Deux facteurs pourraient accélérer le mouvement vers une réduction plus importante de l’empreinte carbone de la Suisse liée à l’importation d’électricité: l’ajout d’autres énergies renouvelables (biomasse, valorisation des déchets, géothermie…) au mix énergétique et le fait que les pays voisins effectuent rapidement leur propre transition énergétique.
«Jusque-là, les recherches menées sur l’empreinte de la production électrique se basaient sur des valeurs moyennes de consommation, notamment annuelles, conclut Elliot Romano. La force de notre étude réside dans l’utilisation de valeurs horaires qui sont beaucoup plus précises. Nous avons intégré l’empreinte directe mais aussi indirecte en tenant compte, par exemple, de celle que génère l’élaboration du béton utilisé pour la construction d’une centrale. Cette méthode nous a donc permis d’analyser de manière complète le cycle de vie de la production d’électricité.»