16 février 2023 - Anton Vos

 

Événements

Einstein mis à l’épreuve aux confins de l’espace-temps

Lors de la conférence d’ouverture du semestre d’automne, Camille Bonvin évoquera le dilemme posé par la découverte de l’expansion accélérée de l’Univers et présentera un outil théorique qui devrait permettre de trancher la question.

 

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La masse importante de la galaxie lumineuse du centre a déformé l’image d’une galaxie beaucoup plus lointaine mais située exactement sur la ligne de visée. Il s’agit d’un cas particulier d’un effet de lentille gravitationnelle appelé l’anneau d’Einstein. Image: Hubble / NASA / ESA

 

La théorie de la relativité générale d’Albert Einstein, énoncée en 1915, n’a jusqu’à présent jamais failli. Elle a prédit toutes sortes de phénomènes spectaculaires qui ont été confirmés par l’expérience (ondes gravitationnelles, lentilles gravitationnelles et autres distorsions du temps et de l’espace). Elle a passé avec succès tous les tests que les physiciens et les physiciennes ont pu imaginer pour la mettre à l’épreuve. Pourtant, il est au moins une observation qui ne colle pas avec ses prédictions, c’est celle d’un Univers qui est en expansion accélérée. Quel est le moteur de cette dynamique? Mystère. Lors de la leçon d’ouverture du semestre de printemps, qu’elle donnera le jeudi 2 mars, Camille Bonvin, professeure associée au Département de physique théorique (Faculté des sciences), exposera le dilemme qui en découle: est-ce la théorie de la relativité générale qui n’est plus valable à très grande distance ou est-ce la description actuelle de l’Univers qui est incomplète? La théoricienne présentera le principe de fonctionnement de l’outil théorique qu’elle et son équipe ont mis au point et qui pourrait bien être capable de trancher la question.

 

C’est dans les années 1990 que le sujet émerge. On sait alors depuis longtemps que la taille de l’Univers croît, notamment parce que les objets qui le peuplent s’éloignent tous les uns par rapport aux autres. Deux expériences indépendantes tentent cependant de mesurer la vitesse de cette expansion (nulle, constante, accélérée…) grâce à l’observation de supernovæ. Ces explosions phénoménales d’étoiles massives représentent des «chandelles standards» dans le ciel. Elles permettent de déterminer la distance et la vitesse de fuite des galaxies qui les hébergent et donc d’estimer à quelle allure l’Univers se dilate. En 1998, les deux équipes, le Supernova Cosmology Project, mené par Saul Perlmutter, et le High-Z Supernova Search Team, mené par Adam Riess et Brian Schmidt, arrivent à la même conclusion: l’Univers subit une expansion accélérée. Les trois chercheurs américains décrochent en 2011 le prix Nobel de physique pour cette découverte.

Dilatateur d’Univers
Reste à savoir quelle en est la cause. Depuis vingt-cinq ans, les physiciennes et les physiciens échafaudent des théories et des hypothèses et imaginent des expériences pour les tester. La première explication possible consiste à affirmer que la description de l’Univers est incomplète et qu’il existerait, par exemple, une sorte d’énergie sombre (ou noire) qui jouerait le rôle de dilatateur de l’Univers. Selon les calculs, elle représente toutefois 70% de l’énergie totale que ce dernier comprend. Le problème, c’est qu’aucune tentative d’en déterminer la nature n’a donné de résultat. L’énergie sombre demeure un mystère total.

L’autre solution reviendrait à admettre que la relativité générale a des limites et que celles-ci seraient atteintes sur de très grandes distances. Ce qui provoquerait un choc considérable dans la communauté scientifique, étant donné la robustesse dont la théorie d’Einstein a fait preuve jusqu’à présent.

«Nous avons mis au point une méthode pour tester ces deux paradigmes, explique Camille Bonvin. Elle consiste à comparer la distorsion du temps et la distorsion de l’espace, générées par les galaxies et amas présents dans l’Univers. Si ces deux distorsions sont égales, alors la théorie de la relativité générale d’Einstein est préservée, puisque c’est ce qu’elle prédit. Et il faudra donc favoriser des explications de type énergie sombre. Alors que si elles diffèrent, cela signifie que la relativité générale est mise en défaut et qu’il faudra se tourner vers certaines théories alternatives qui sont en élaboration.»

Les données actuellement à disposition sont encore insuffisantes pour mener le test à bien. Le phénomène de lentilles gravitationnelles, par exemple, montre la somme des distorsions temporelles et spatiales mais il est impossible de les isoler l’une de l’autre pour les comparer. En revanche, au moins deux instruments d’observation en activité ou encore en construction sont sur le point de produire des données que l’équipe de Camille Bonvin pourrait exploiter. Il s’agit du spectrographe Desi (Dark Energy Spectroscopic Instrument), monté sur un télescope de l’Observatoire national de Kitt Peak en Arizona (États-Unis) et qui fonctionne depuis 2020, ainsi que du SKA (Square Kilometer Array), un radiotélescope géant en construction en Afrique du Sud et en Australie et qui devrait commencer ses opérations en 2026 ou 2027. Les mesures réalisées par ces deux installations, dont les premières commencent à être disponibles, permettront en effet de mesurer pour la première fois des distorsions temporelles indépendamment des distorsions spatiales.

AUX CONFINS DE L’ESPACE-TEMPS
La théorie d'Einstein mise à l'épreuve

Leçon d’ouverture du semestre de printemps par Camille Bonvin, professeure en physique théorique, Université de Genève

Jeudi 2 mars 2023 | 18h30 | Uni Dufour


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