25 mai 2023 - Jacques Erard

 

Vie de l'UNIGE

«L’université est souvent en avance sur l’innovation»

Comment mesurer l’impact des innovations issues de recherches universitaires? Une table ronde faisait récemment le point sur la question, avec, en orateur vedette, Luis Mejia, l’homme qui a propulsé Google en start-up dans les années 1990.

 

 

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Discussion lors de l'événement Mission to Impact. De gauche à droite Laurent Miéville, directeur Unitec, Antonio Gambardella, directeur Fongit, Luis Mejia, Senior Associate université Stanford, Christina Hertel, professeure UNIGE, Tracy Laabs, Chief Development Officer, Wyss Center for Bio and Neuroengineering. Photo: Manon Voland

 

Unitec, le bureau de transfert de technologies de l’UNIGE, a accueilli, le 16 mai dernier, Luis Mejia, un des personnages clés du lancement de la start-up Google, il y a vingt-cinq ans. Avant d’atteindre la célébrité qu’on lui connaît, le moteur de recherche a en effet été publié la première fois en août 1996 sur le site web de l’Université Stanford à partir de travaux menés dans ses laboratoires. Préposé aux transferts de technologies de l’université californienne, Luis Mejia a ensuite négocié avec Larry Page, le fondateur de Google, alors âgé de 25 ans. Son témoignage, suivi d’une table ronde, était l’occasion pour Unitec et son responsable, Laurent Miéville, de rappeler que, pour se transformer en success story et avoir un impact durable sur la société, un transfert de technologie doit allier la chance à la persévérance.

Le Journal: Pouvez-vous donner des exemples de valorisations particulièrement réussies à partir de recherches menées à l’UNIGE?
Laurent Miéville
: Le premier exemple que nous avons présenté lors de l’événement du 16 mai concerne une collaboration entre l’Université de Genève et une société basée en Suisse produisant des luminophores, des substances pouvant émettre de la lumière. Celles-ci sont notamment utilisées dans l’industrie horlogère pour rendre les aiguilles des montres fluorescentes. Les montres Swatch Omega de la gamme «Mission To Mars» contiennent cette technologie qui a été mise au point à l’UNIGE, ce que la plupart des gens ignorent. C’est Hans Hagemann, alors professeur à la Faculté des sciences, qui a mené cette collaboration avec le soutien d’Unitec. Le produit qui en a résulté a aujourd’hui la réputation d’être le meilleur du monde. Le deuxième exemple a trait aux sciences de la vie et à des contacts noués il y a plus de vingt ans entre le virologue Didier Trono, qui était alors professeur à l’UNIGE, et la Clayton Foundation, une fondation américaine qui cherchait à investir dans des recherches potentiellement à fort impact.

 

De quoi s’agissait-il exactement?
Les recherches portaient sur la technologie dite des «lentivecteurs» qui utilise la capacité de certains virus à changer le matériel génétique des cellules. L’idée de Didier Trono était d’avoir recours à des virus rendus inoffensifs mais qui conserveraient la capacité à insérer dans les cellules d’un-e patient-e un code génétique leur permettant de lutter contre telle ou telle maladie. Il s’agissait à l’époque d’une prise de risque importante, car la seule évocation d’une reprogrammation génétique était taboue. Vingt ans plus tard, cette technologie est intégrée dans de nombreux traitements et sauve la vie d’enfants souffrant d’une accumulation de toxines dans leur corps.

Que retenez-vous de ces expériences?
D’abord qu’il n’y a pas de concurrence entre la recherche fondamentale, comme celle sur les «lentivecteurs», et la recherche appliquée, comme dans le cas des luminophores. Les deux peuvent avoir d’importantes répercussions, à condition de s’armer de patience. Lors de la création d’Unitec, je me suis attaché à tempérer les attentes de l’Université. Il faut du temps pour que l’investissement de départ porte ses fruits. Quelque 17 millions de francs ont été reversés à l’Université depuis la création d’Unitec, dont 5 millions uniquement en 2022, ce qui montre en tout cas une belle progression. Il faut également trouver les bon-nes partenaires. Lorsqu’il y a beaucoup d’incertitudes sur les retombées, il est souvent préférable de miser sur une start-up, car les sociétés existantes hésitent à s’engager. Enfin, c’est un jeu de loterie. Il s’agit de planter un maximum de graines. Une majorité va s’arrêter de croître en cours de route, faute d’un financement suffisant ou parce que les résultats escomptés sur le plan commercial ne se sont pas matérialisés lors de la phase de développement. Mais une petite minorité va avoir un impact fort, ce qui justifie les efforts consacrés.

Y a-t-il des domaines privilégiés en matière d’innovation?
En tant que bureau de transfert de technologies, nous ne pouvons pas favoriser telle technologie au détriment de telle autre. Nous aidons tout-e scientifique du moment que sa découverte présente un potentiel intéressant. L’UNIGE possède cependant un outil qui permet de donner une impulsion vers certains axes de recherche, sous la forme de la Convention d’objectifs signée avec les autorités politiques. Celle-ci fixe des cibles, en mettant l’accent sur des domaines prioritaires.

Ces choix ont-ils un impact sur le transfert de technologies?
Oui, dans la mesure où les chercheurs et chercheuses sont naturellement en quête de financements pour mener leurs travaux. Or, des fonds importants pour traiter, par exemple, de problématiques en lien avec le développement durable agiront comme une incitation. Cela entraînera aussi une synergie entre ce que fait l’Université et les attentes de la société, tout en facilitant notre travail, car les entreprises et les investisseurs/euses sont, aussi, sensibles aux besoins du public. L’université est souvent en avance sur l’innovation. Dans certains cas, on voit très vite que certaines technologies vont intéresser des partenaires commerciaux/ales. Mais souvent, le défi consiste à identifier les découvertes qui, dans trois, cinq ou dix ans, seront vraiment utiles à la société.

Quels sont les domaines sur lesquels vous miseriez actuellement?
Il existe toute une gamme de technologies émergentes en sciences de la vie, qui permettent de programmer des cellules pour lutter contre des cancers, en donnant par exemple au système immunitaire les moyens d’identifier les cellules cancéreuses et de les contrer. Pas mal de start-up se positionnent sur ce terrain. Cela dit, on se rend de plus en plus compte qu’il faut aller au-delà de l’impact purement technologique.

C’est-à-dire?
Il y a des aspects sociétaux, éthiques ou juridiques qui déterminent la manière dont les gens s’approprient une technologie et le cadre dans lequel elle est employée. Voyez les débats actuels au sujet de l’intelligence artificielle et de son utilisation. Ces facteurs interviennent aussi dans le succès de n’importe quelle innovation. Être au cœur d’une université généraliste comme l’UNIGE est un atout de ce point de vue et nous aide à tenir compte de ces aspects.

 

 

 

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