Hypercodex - projet

Axes de recherche

Émergeante dans les dernières décennies du XIIème siècle, la diffusion des œuvres issues de la tradition littéraire française adopte dès le moment où elle prend son véritable essor, dans les années 1200, et surtout dans la seconde moitié du XIIIème et au début du XIVème siècle, des « normes » de production qui l’orientent dans deux directions. À une transmission autonome des textes – du moins pour ceux qui atteignent une certaine ampleur matérielle –, elle oppose en effet la tendance à regrouper ces derniers au sein de recueils parfois très volumineux et surtout, très variés dans leur composition. On voit ainsi se constituer des ensembles marqués par une hétérogénéité déconcertante pour la critique moderne des écrits médiévaux, à côté d’anthologies littéraires (romanesques, épiques), hagiographiques (légendiers) ou didactiques (historiques, morales ou de spiritualité), ou encore lyriques, comme dans le cas bien connu des chansonniers, parmi d’autres.

Peu de travaux ont néanmoins tenté de répondre aux interrogations que suscite la composition d’un assez grand nombre de recueils anciens : leur configuration répond-elle en effet à des choix concertés ou au hasard de regroupements opérés à des moments plus ou moins distants de la rédaction de leurs différents constituants ? Dans la première éventualité, quels sont alors les critères et les intentions qui ont pu présider à l’assemblage de pièces aussi diverses que celles dont on observe la présence dans certains volumes ? Peut-on émettre des hypothèses sur les individus ou les milieux responsables de telles réalisations ?

Par ailleurs, la recherche littéraire ne prend que rarement acte de la situation matérielle des œuvres qu’elle soumet à son enquête. Surtout, elle n’envisage guère les implications qui, pour la circulation, l’évolution et la réception d’un texte peuvent résulter de sa rencontre avec d’autres écrits au sein des manuscrits aujourd’hui disponibles. Seuls transmetteurs conservés pour beaucoup d’entre eux, les recueils des XIIIème - XIVème siècle sont pourtant susceptibles d’infléchir de manière significative le contenu des textes qu’ils articulent, non seulement en raison d’écarts involontaires de copie, de transformations conscientes au niveau narratif ou linguistique, et ainsi de suite, mais aussi des interactions qui se produisent entre les pièces qu’ils réunissent.

Les conditions qui ont prévalu jusqu’ici dans la publication de notre littérature ancienne – le plus souvent, à travers des monographies ou des ouvrages thématiques, peu aptes à rendre compte de cet aspect de sa diffusion originale – peuvent sans doute expliquer dans une large mesure la méconnaissance de tels facteurs dans la réflexion sur notre plus ancienne littérature. Il faut cependant noter que l’apparition et le développement des nouvelles technologies de l’information n’ont guère modifié cet état de fait. Fidèles en ceci aux habitudes de diffusion traditionnelles, les éditions informatiques de textes médiévaux négligent le plus souvent le contexte matériel et intellectuel de leurs supports. En outre, les seules expertises qu’elles permettent en général sont de nature intra-textuelle, s’il y a lieu. Faute d’interfaces adéquates, elles ignorent la possibilité de recherches à l’échelle non pas d’œuvres singulières mais de combinaisons comme celles que la tradition manuscrite a élaborées au stade premier de leur existence. Enfin, peu dynamiques et d’une faible interactivité, elles ne répondent qu’aux besoins de la philologie elle-même (accès aux textes et éventuelles procédures d’interrogation, en général de type lexical) et délaissent ceux des autres disciplines qui contribuent à une approche globale des œuvres, de leur diffusion et de leur réception – codicologie, histoire de l’art, histoire du livre, paléographie en particulier – ou la possibilité de jouer simultanément à différents niveaux d’information complémentaires.