6 mai 2021 - Alexandra Charvet

 

Analyse

Découvrir Genève autrement

Un ouvrage met le patrimoine genevois du XIXe siècle à l’honneur. Douze promenades emmènent la lectrice et le lecteur à travers un siècle d’architecture.

 

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Musée d'art et d'histoire (MAH). La modernité de l'édifice se cache dans son plan, sa distribution, ses éclairages et sa technicité. Au centre du quadrilatère, une cour à l'italienne distribue la composition. Image: A. Buchet

 

Visiter Genève en jetant un nouveau regard sur ses bâtiments, c’est la proposition du récent ouvrage de Patrimoine suisse Genève, XIX,e Un siècle d’architectures à Genève (1814-1914), Promenades. L’opus propose 12 balades à travers la ville pour (re)découvrir le patrimoine bâti du XIXe siècle. Dirigé par Pauline Nerfin, assistante à l’Unité d’histoire de l’art (Faculté des lettres), ce recueil collectif met en lumière les bâtiments emblématiques de la ville comme le Grand Théâtre, par exemple, mais aussi des constructions plus modestes: commerces, ateliers d’artisan-es ou logements ouvriers. Entièrement revu et corrigé, l’ouvrage est une nouvelle édition d’un guide paru en 1985. «À l’époque, la Société d’art public (devenue depuis l'association Patrimoine suisse Genève) s’était mobilisée pour sauver de nombreux immeubles voués à la démolition, notamment dans les Rues-Basses, explique l’historienne de l’art. L’ouvrage avait pour ambition, si ce n’est d’aider à leur préservation, du moins de documenter les bâtiments représentatifs du XIXe siècle avant que ceux-ci ne disparaissent. Épuisé depuis des années, ce guide méritait une réédition.»

 

Opération urbaine exceptionnelle

L’aventure a débuté en compagnie de Babina Chaillot Calame, nommée depuis conservatrice cantonale des monuments. Pour définir le corpus à présenter, les deux femmes ont refait à vélo toutes les balades proposées dans le guide de 1985. Une soixantaine de bâtiments a ainsi été rajoutée à l’ensemble, alors que d’autres n’y figurent plus, ayant été démolis entre-temps ou jugés trop dénaturés. Le patrimoine genevois ainsi dévoilé se révèle important: 362 objets architecturaux au total. «La "ceinture fazyste" qui entoure la Vieille-Ville est le résultat d’une période de construction frénétique, raconte Pauline Nerfin. À partir de 1850, on commence en effet à démolir les fortifications de la ville où l’on est trop à l’étroit. En cinquante ans, le territoire de la ville va doubler, des quartiers entiers vont voir le jour; et du début du XIXe siècle à la fin, la population genevoise va quintupler.» Considéré comme le grand siècle de l’architecture genevoise, le XIXe voit la création des premières écoles enseignant cette discipline (mais pas encore à Genève). L’espace public commence peu à peu à être ordonné: en plus des bâtiments, on installe aussi des places, des squares et des parcs. «On cherche également à insuffler un rayonnement à la ville, avec la construction d’un quartier culturel et scientifique (Grand Théâtre, Conservatoire de musique, Victoria Hall, Uni Bastions, Ancienne École de chimie,…), précise Pauline Nerfin. L’ouverture de la Genève calviniste aux autres religions va, elle aussi, apporter son lot d’édifices. Sous le patronage de James Fazy, des parcelles de terrains seront offertes aux juifs/ves, aux catholiques, aux orthodoxes et aux francs-maçons pour y ériger leurs bâtiments de culte.»

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Pauline Nerfin

Ce développement urbain a su être exemplaire. «Quand il arrive au pouvoir, James Fazy a à cœur de réaliser les choses de manière visionnaire, précise Pauline Nerfin. Il va notamment s’entourer du général Guillaume Henri Dufour et de Leopold Blotnitzki, qui deviendra le nouvel ingénieur cantonal. Un cahier des charges draconien va réglementer les constructions, en figeant le gabarit des immeubles, leur couleur ou la taille des chambres des domestiques. L’arrivée de l’hygiénisme va, de son côté, conditionner la dimension des routes afin de laisser la lumière entrer à tous les étages. Le tout peut paraître un peu monotone à force, mais c’est exemplaire sur le plan de la cohérence urbaine, ce qui n’est peut-être plus tout à fait le cas aujourd’hui.»

 

Un panorama des courants stylistiques

Destiné aux connaisseurs/euses comme au grand public, l’ouvrage propose plusieurs niveaux de lecture. Les notices y sont vulgarisées, mais fournissent également des éléments techniques destinés aux scientifiques. Chacun des trois courants d’architecture qui ont parcouru le XIXe siècle y est représenté: d’abord la Restauration (1814-1846), puis les bâtiments dits fazystes (jusque vers 1890), enfin le «Heimatstil» qui qui va «helvétiser» l’éclectisme et les historicismes. «L’Exposition nationale sur la plaine de Plainpalais en 1896 va lancer ce dernier style qui va durer une vingtaine d’années, précise l’historienne de l’art. Le courant, dont un certain modernisme se dégage, vise l’identification de Genève à la Suisse. La mairie ou l'école des Eaux-Vives en sont des bons exemples, avec leurs toitures très imposantes et accidentées dont on raconte qu’elles rappellent les montagnes.»

 

Sous la direction de Pauline Nerfin
«XIXe, Un siècle d’architectures à Genève (1814-1914), Promenades»
Patrimoine suisse Genève 2020
496 p.


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Ancienne École de chimie. Loin du style des Beaux-Arts éclectique, l'École de chimie renvoie à un langage néoclassique germanique. Ici, la fonction dicte une partie du plan et de la forme, y compris la cheminée de briques, encore visible. Après l'incendie de 2008, la restauration a rendu son éclat au bâtiment: les faux-marbres ont été reconstitués et, sur les pupitres de l'amphithéâtre, même les graffitis d'étudiant-es ont été conservés. Image: A. Buchet

 

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Immeubles Versonnex. Côté rue, les deux immeubles semblent jumeaux; seule la disposition de leur entrée les distingue. Le rez-de-chaussée et le 1er étage sont traités comme un haut socle surmonté d'un balcon continu à balustrade de pierre. Les consoles à médaillons qui supportent le grand balcon sont cantonnées de bustes de femmes ailées sauf aux deux extrémités où celles-ci sont remplacées par des putti assis. Image A. Buchet

 

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Anciennes maisons d'artisan-es. Vers 1835-1840, les abords du nant des Grottes, source de force motrice, sont envahis de hangars et de constructions légères en bois (la plupart disparus dans un incendie en 1873). On y établit aussi de modestes maisons-ateliers en dur, certaines destinées aux ouvriers/ères de l'horlogerie. Image: A. Buchet

 

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