10 avril 2024 - Alexandra Charvet

 

Analyse

«La réforme de Bologne est une démarche humaniste»

Georges Felouzis, spécialiste des politiques éducatives, professeur à la Section des sciences de l’éducation (FPSE)


LeJournal: Il y a 25 ans, sur quelle base a été lancée
la Déclaration de Bologne?
Georges Felouzis:
À l’époque, certaines personnes reprochaient à la construction européenne d'être centrée sur l’économie et l’échange de capitaux ou de travailleurs/euses. L’idée de Bologne était de construire l’Europe au travers de la formation. Une démarche humaniste, qui rend ses lettres de noblesse au savoir et à l’idée que les nations peuvent s’unir pour former leurs jeunes générations. La réforme a permis de produire un espace de formation commun, d’une part, en organisant la formation supérieure de façon similaire (en trois niveaux distincts et hiérarchisés: bachelor, master et doctorat) et, d’autre part, en instituant les crédits ECTS, un instrument technique permettant de valider des acquis dans le cadre d’une mobilité internationale.


Quel a été l’impact de la réforme sur l’enseignement supérieur?
Bologne a été une première incursion de l’international dans les politiques d’enseignement supérieur qui, jusqu’alors, constituaient une prérogative nationale. D’autres phénomènes ont accompagné cette internationalisation, comme les classements des universités. En effet, dès lors que vous pouvez faire un bachelor où vous le souhaitez, que vous pouvez obtenir des crédits ECTS que vous pouvez conserver quel que soit le pays où vous les avez obtenus, vous créez les conditions d’un «marché» de l’enseignement supérieur régi par la qualité des formations offertes, la rentabilité des diplômes obtenus et la réputation des universités. Le processus de Bologne a également participé à la transformation du regard porté sur les universités et ce qu’elles produisent. D’une vision centrée sur le prestige, on est passé à une vision axée sur l’excellence, un critère qui est mesurable.


Comment les différents pays se sont-ils emparés de cette réforme?
Cela a été assez variable, parce que chaque système avait ses singularités, mais cela s’est passé de façon relativement fluide dans les pays de l’espace européen. Les pays de l’hémisphère Sud ont, par contre, été impactés de façon significative, se retrouvant dans l’obligation de réformer eux-mêmes leur système d’enseignement supérieur, non pas pour faire comme l’Europe, mais simplement pour que leurs étudiant-es aient encore la possibilité de suivre une partie de leur formation dans les pays européens.


Des points restent-ils à améliorer?
Bologne avait pour but de construire l’Europe des savoirs et des formations supérieures et on a bien avancé sur ce chemin. Évidemment, on peut toujours aller plus loin: l’échange des étudiant-es et des chercheurs/euses ne fonctionne pas toujours de manière optimale en raison de décalages entre les règles d’accueil des migrant-es d’un pays et les besoins des académies, en particulier pour les personnes qui viennent de l’espace extra-européen. Par ailleurs, la réforme a accentué la compétition entre les universités. Si celle-ci a conduit à la recherche de l’excellence, au développement de l’accueil des étudiant-es et à la mise en œuvre de l’évaluation des enseignements par les étudiant-es, cette concurrence généralisée a aussi des aspects négatifs, comme la course à la publication.

 

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