15 février 2024 - Léa Jacquat

 

Analyse

Enquête sur les causes profondes du travail des enfants

Les chiffres liés au travail des enfants peinent à fléchir. Une étude examine pour quelles raisons dans le contexte de la production de cacao.

 

 

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Photo: Adobestock

 

Pourquoi, en dépit des efforts déployés et d’une prise de conscience générale, les chiffres liés au travail des enfants ne fléchissent-ils pas? C’est la question à laquelle s’efforce de répondre une étude publiée en janvier 2024 par Berit Knaak et Dorothée Baumann-Pauly (Geneva Center for Business and Human Rights, GCBHR), en collaboration avec la Fondation FarmStrong. Basant leur recherche sur le cas des plantations de cacao en Côte d’Ivoire, les chercheuses ont collaboré avec des expert-es du terrain afin de procéder à un état des lieux complet de cet enjeu crucial en termes de droits humains. Leur constat: une approche globale et coordonnée est nécessaire.

 

La production de cacao en Côte d’Ivoire représente environ 40% du marché mondial et 10% du produit intérieur brut du pays. On estime que plus de 800 000 enfants travaillent sur des exploitations de cacao – soit un-e enfant sur trois vivant dans des zones de plantation. «Les entreprises et les gouvernements sont conscients et impliqués, explique Dorothée Baumann-Pauly. De plus en plus d’activités sont mises en place et des sommes croissantes d’argent sont injectées. Pourtant, les chiffres augmentent.» Pour les chercheuses, comprendre cette tendance nécessite une vue d’ensemble non seulement des causes rattachées au phénomène, mais également des initiatives visant à y remédier.

Les facteurs responsables du travail des enfants en Côte d’Ivoire sont complexes et multiples. Ils impliquent aussi bien les communautés locales que le gouvernement ou l’industrie. Ils concernent tant la pauvreté que le manque d’accès à l’éducation ou à des infrastructures sociales et sont également liés au changement climatique. Bien que nombreux, ces éléments sont généralement connus par les parties prenantes et largement étudiés. Ils sont cependant souvent adressés de manière individuelle et sans prendre en compte leur interdépendance.


Des efforts dispersés
Les nombreuses initiatives mises en place afin de pallier ce problème émanent de différents acteurs/trices, mais rares sont celles qui obtiennent un résultat efficient et durable. Les raisons de cet échec sont plurielles: difficulté à récolter des données pour contrôler les résultats, manque de traçabilité ou encore conséquences imprévues dérivant d’autres facteurs.

La plupart des programmes de soutien se concentrent sur les zones de plantation traçables ou celles bénéficiant d’une bonne infrastructure. C’est le cas des grandes compagnies qui introduisent des régulations au sein de leur propre chaîne de production. Il est cependant estimé que 17 à 25% de la production de cacao de Côte d’Ivoire ne sont pas traçables et se trouvent dans des zones reculées où le risque lié au travail des enfants est plus élevé. D’autres programmes privés ou mis en place par la société civile ont pour objectif d’améliorer l’accès à l’éducation en construisant des écoles. Mais sans accès à un certificat de naissance officiel émanant du gouvernement et sans moyen de transport, les enfants ne peuvent prétendre à une éducation. Quelles que soient les causes profondes prises en compte, la majorité des programmes ne prend pas en considération leur interdépendance et n’adopte pas l’approche holistique nécessaire pour résoudre efficacement le problème dans son ensemble.

Une approche globale et coordonnée nécessaire
Afin de remédier à cette problématique systémique, les expertes prônent donc une approche globale dans laquelle les responsabilités sont partagées. Les gouvernements des pays producteurs et acheteurs devraient donc établir une stratégie commune avec un budget déterminé. Fortes de cette étude exploratoire, elles souhaitent désormais pousser plus avant leur projet et ambitionnent notamment de réaliser une étude permettant d’identifier les zones de production indirectes à l’aide de données satellites combinées avec des données géospatiales afin de déterminer les risques pour les droits humains dans ces zones.

En parallèle, elles ont engagé un dialogue avec les différents acteurs du secteur, telles les grandes industries chocolatières ou les organisations non gouvernementales, afin d’encourager l’émergence d’un effort commun.

 

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