10 avril 2024 - Alexandra Charvet

 

Analyse

«Une dynamique exceptionnelle a entraîné la Suisse plus loin que nous l’avions rêvé»

Charles Kleiber, secrétaire d’État à l’éducation et à la recherche de 1997 à 2007

 

LeJournal: La réforme de Bologne allait-elle de soi il y a 25 ans?
Charles Kleiber:
Il faut se rappeler le contexte de l’époque: nous sommes à la fin de la Guerre froide, le monde s’ouvre, le développement de la science et de la technologie devient une condition de la prospérité, la Suisse découvre l’importance d’une politique scientifique et crée un Secrétariat d’État à l’éducation et à la recherche. L’idée de créer un espace national de formation et de recherche ouvert sur l’Europe et sur le monde s’impose peu à peu, à gauche comme à droite. Mais les universités, très cantonales, tenant farouchement à leur autonomie, maximisent leurs spécificités et leurs différences jusqu’à entraver les coopérations et les échanges au niveau national et international. Décision est alors prise, sous l’impulsion de la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, de proposer au Conseil fédéral une déclaration d'intention sans effets juridiques pour lancer le mouvement. Le collectif des hautes écoles, au travers de la Conférence des recteurs, se met au travail et intègre les règles européennes dans le dispositif de l’espace commun national en train de naître. En signant, au nom de la Suisse, la Déclaration de Bologne, je crois avoir accompli un acte symbolique fondateur offrant à notre pays de nouvelles ambitions.

 

Les objectifs de la réforme ont-ils été atteints?
L’espace européen de la formation et de la recherche, c’est tout ce qui tisse des liens entre les communautés scientifiques et les peuples. Ce sont Erasmus, les crédits ECTS, Horizon Europe, les grands projets qui ont fait de l’Europe un continent scientifique fidèle à son histoire. Les objectifs ont été atteints, une dynamique exceptionnelle a entraîné la Suisse plus loin que nous l’avions rêvé à l’époque. En rompant les négociations bilatérales, le Conseil fédéral, aveuglé par des enjeux partisans, n’a pas été à la hauteur de l’Histoire.

 

Quels aspects restent à renforcer selon vous?
Nous avons ouvert un extraordinaire espace de création et de diffusion du savoir. Mais cela n’a pas empêché la désinformation galopante et la perte du désir de vérité. La science, c’est-à-dire la connaissance par la preuve, a-t-elle perdu son statut de langue universelle? Quels sont les faits, les questions, les nouvelles disciplines et les récits qui ont du sens et pourraient rendre compte du réel face à l’effondrement du vivant et à la croissance des inégalités sociales? Comment, dans le foisonnement du réel, les choisir, les mettre à l’épreuve de la vérité et les faire vivre? Voilà peut-être de nouvelles questions pour les universités.

 

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