26 mars 2020

 

Quand Genève
affrontait la peste

 

Il y a tout juste 300 ans, les autorités sanitaires genevoises se préparaient à affronter une épidémie de peste venue du sud de la France. Les mesures prises à l'époque ne sont étonnamment pas si différentes de celles d’aujourd’hui. Saut dans le passé avec Alexandre Wenger, historien de la médecine

 

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 Scène de la peste de 1720 à Marseille, tableau de Michel Serre

 

Professeur à l'Institut Éthique Histoire Humanités (Faculté de médecine), Alexandre Wenger a ressorti ce règlement des archives genevoises. Ses travaux ont fait l'objet d'une publication dans le Swiss Journal of the History of Medicine and Sciences en 2003. "Bien que d'autres règlements de ce type aient été édictés en Europe, le caractère entièrement préventif et très détaillé de celui de Genève est surprenant, raconte le professeur dans une interview diffusée le 12 mars dernier dans l'émission CQFD (RTS La Première). Son grand intérêt, c'est qu'il montre que la santé publique consiste d'abord à administrer la vie courante. Les mesures sont moins médicales qu'institutionnelles. Il s'agit de réguler les arrivées à Genève, d’imposer un quadrillage sanitaire à l’intérieur de la République et de définir avec précision quelles sont les responsabilités des un-es et des autres."

 

Système de ségrégation

Pour contrôler l'épidémie à venir, quarantaine, interdiction de rassemblement et restrictions de déplacement sont préconisées par la Chambre de la santé, institution instaurée en 1628 lors d’une précédente peste. "À cette époque, Genève est enfermée derrière des fortifications, poursuit l'historien. La Plaine de Plainpalais, qui se trouve hors les murs, va servir à accueillir un système de cabanons d'isolement. On assiste à une véritable ségrégation, avec des différences systématiques entre les personnes aisées et les pauvres. C'est un système de défense et de quadrillage du territoire qui est mis en place."

Parmi les mesures prises pour empêcher l'arrivée de l'épidémie, tous les rassemblements, y compris pour les inhumations, sont interdits. "Cette mesure est particulièrement perturbante pour la vie courante, commente Alexandre Wenger. Les enterrements se font à la hâte, les cérémonies religieuses sont suspendues. Ce n'est pas seulement le commerce qui est interrompu dans son fonctionnement quotidien, mais aussi la vie spirituelle et sociale". À l'instar de la fermeture actuelle des frontières, des contrôles sont effectués à l'arrivée des étrangers: "Dès qu'elle est avisée d'une possible contagion à Marseille, la Chambre de santé genevoise demande à toutes les personnes en provenance du sud de la France de se munir d'une bullette de santé – une petite lettre les autorisant à se déplacer délivrée par les autorités sanitaires proches du foyer épidémique", rajoute le professeur.

 

Enjeu économique et médical

Du côté médical, c'est la fuite du personnel soignant que redoutent en premier lieu les autorités. "Des récompenses étaient prévues pour les personnes qui restaient à leur poste, explique Alexandre Wenger. Les chirurgiens se voyaient par exemple promettre la bourgeoisie genevoise une fois l'épidémie passée.

"Les différentes théories médicales de l’époque expliquant la propagation de la peste se concrétisent par des mesures hétérogènes: "La théorie de la contagion veut que la peste soit apportée depuis l'extérieur par des corpuscules invisibles, constate l'historien. On se méfie alors de l'étranger qui arrive dans la ville ou des marchandises importées. Quant à la théorie de l'infection, elle a conduit à assainir les douves et leurs eaux croupissantes, à nettoyer la ville de tous ses déchets et à la vider de ses mendiants et de ses pauvres. Tous les chiens et les chats sont pour leur part abattus."

Et comme aujourd'hui, l'enjeu économique était très fort: "Chaque fois qu'une mesure était prise, elle était immédiatement rendue publique parce qu'il était très important de rassurer les partenaires commerciaux, Genève étant un carrefour commercial entre la vallée du Rhône au sud et les cantons helvétiques au nord", précise l'historien.

 

POUR EN SAVOIR PLUS
> Ecouter l'interview d'Alexandre Wenger sur RTS La Première (CQFD, 12 mars 2020)
> "Un règlement pour lutter contre la peste: Genève face à la grande peste de Marseille (1720-1723)", par Alexandre Wenger, Gesnerus, 2003, vol. 60, no. 1-2, p. 62-82