24 février 2022 - Alexandra Charvet

 

Événements

Quand les restes des victimes disent l’horreur des crimes de masse

La Faculté de droit projette une série de trois films dédiée à l’exhumation des corps de victimes de violences politiques. Objectif: susciter réflexions critiques et débats.

 

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Au Chili, les astronomes du monde entier se rassemblent dans le désert d’Atacama pour observer les étoiles. Au pied des observatoires, des femmes remuent les pierres, à la recherche de leurs parents disparus, victimes de la dictature. Image du film Nostalgia de la luz (Patricio Guzmán, 2010), trigon-film.org

 

Les traces des crimes de masse ne disparaissent jamais totalement. Au centre de toutes les investigations, les restes des victimes sont recherchés, exhumés, récoltés et, si possible, identifiés. Cette quête soulève quantité de questions. Celles-ci seront abordées dans le cadre d’une trilogie de films. La projection de chacun d’entre eux sera suivie d’un débat permettant d’entamer la réflexion sur de multiples enjeux. Proposé par la professeure Sévane Garibian (Département de droit pénal), l’événement en est à sa troisième édition. Rencontre.


Le Journal: Quel bilan tirez-vous des deux premières éditions?
Sévane Garibian
: Chaque projection a été un succès, rassemblant en moyenne 150 à 200 personnes, majoritairement des étudiantes et des étudiants, mais aussi un public plus large, dans l’esprit qui anime cette trilogie: le dialogue interdisciplinaire, dans une perspective pédagogique, scientifique et d’ouverture à la cité.

Pourquoi avoir choisi la thématique de l’exhumation des restes humains pour cette nouvelle édition?
Après le travail autour de la parole singulière des bourreaux, puis l’analyse de procès hors du commun, il m’a semblé intéressant d’aborder pour cette troisième édition la question de la recherche et de l’identification des restes des victimes et l’importance de l’expertise forensique dans ce contexte. Chaque film donne des clés essentielles de compréhension et d’analyse de problématiques très concrètes auxquelles nous sommes confronté-es notamment sur le terrain.

Qu’est-ce qui vous a guidée dans le choix des trois films qui seront projetés?
C’est la richesse des questions que chaque film, documentaire ou fiction, permet de soulever à travers le regard d’un-e réalisateur/trice. Chaque projection est d’ailleurs suivie d’un débat-discussion avec des expert-es, puisque l’objectif est d’amorcer une réflexion critique.

Quelles questions soulève l’exhumation des corps dans le cadre de violences politiques?
Les diverses pratiques d’exhumation posent des questions d’ordre à la fois juridique, politique, religieux, éthique, etc. Ces dernières varient selon les contextes et les acteurs/trices impliqué-es dans de telles pratiques. Les questions ne sont pas les mêmes selon que les exhumations sont clandestines ou cadrées par le droit, si elles sont opérées en présence, ou non, des familles des victimes, avec ou sans l’aide de l’État, etc. Dans tous les cas, cependant, il s’agit de mobiliser les rapports complexes entre les vivant-es et les mort-es, d’une part, et entre les professionnel-les et les familles de victimes, d’autre part, dans des configurations parfois tendues. Il s’agit aussi de garder à l’esprit l’exigence fondamentale de sauvegarde de la dignité humaine.

Comment l’étude des corps retrouvés peut-elle prouver un projet génocidaire?
L’intention génocidaire implique la volonté de détruire un groupe particulier. Cette intention spéciale, difficile à prouver, peut par exemple être mise au jour par le modus operandi des criminel-les, leur manière de cibler certains membres du groupe victime ou même de profaner leur corps après leur mort… tout cela peut être révélé par les expertises menées sur les corps des victimes retrouvés dans des charniers. Ce travail a par exemple été décisif concernant Srebrenica, dans le cadre du travail mené par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Qu’en est-il de la restitution des restes humains?
Ces restes, une fois identifiés, doivent être restitués aux proches pour leur permettre d’offrir à leur défunt-e le rituel funéraire approprié et d’entamer leur propre travail de deuil. Mais la question des restitutions est aussi fondamentale, et d’une grande actualité, dans des contextes comme ceux de l’histoire coloniale et des collections muséales de restes humains qui en découlent.

EXHUMER LA VIOLENCE POLITIQUE

Trois films, trois débats

3 mars, 7 avril, 5 mai | 18h30 | divers lieux

Entrée libre


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