Journal n°101

Pourquoi aider les autres à l’heure du chacun pour soi

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Quelle est la place des activités à but non lucratif dans un monde où tout s’achète? Une conférence agendée le 18 mars apporte des éléments de réponse. Entretien avec le sociologue Sandro Cattacin

Le Forum de recherche du Département de sociologie (Faculté des sciences de la société) portera cette année sur le futur de l’action collective. Huit conférences publiques émailleront le cycle, tous les mercredis du 18 mars au 13 mai. La première soirée verra le professeur Sandro Cattacin traiter de l’utilité publique des associations sans but lucratif, ainsi que des défis que ces dernières doivent affronter pour s’adapter à l’évolution de notre société. Entretien.

Le don de soi est a priori incompatible avec l’importance croissante accordée à l’individu dans nos sociétés. D’où vient cette tendance?
Sandro Cattacin: L’individualisation est un terme utilisé pour décrire la recherche continuelle d’une identité unique. C’est une tendance très marquante apparue il y a trois cents ans, avec l’affranchissement de la religion autoritaire du haut Moyen Age et le début des Lumières. Après un retour à l’uniformisation pendant les guerres mondiales et les «Trente Glorieuses», le désir d’être reconnu en tant que personne unique, maîtresse de son destin et autodéterminée, a ressurgi à la fin des années 1960. Cependant, devenir soi-même est possible seulement si l’autre le constate. Autrement dit, l’individualisation n’est pas un processus solitaire.

En quoi les associations sans but lucratif peuvent-elles aider les individus dans cette quête d’identité?
L’autoréalisation s’accomplit souvent dans un contexte privé plutôt que professionnel. L’individu se cherche et se trouve dans les activités qu’il accomplit pour lui-même, comme le bénévolat associatif.

Le choix du type de bénévolat est donc révélateur de nos désirs les plus authentiques?
Oui. D’ailleurs, les activités associatives mentionnées dans le curriculum vitæ d’un candidat ne sont pas anodines. Elles donnent en effet un très bon aperçu de la personnalité et des capacités relationnelles du postulant.

Quelle est l’utilité majeure d’une activité bénévole?
Un bon équilibre collectif et individuel. En plus d’accomplir des tâches sociales de grande importance, comme l’aide aux personnes en difficulté, le bénévolat permet aux individus de retrouver du calme, de la stabilité et de donner ainsi un sens à la vie. De grandes entreprises, comme Migros, sont conscientes de ces bénéfices. Par conséquent, elles soutiennent l’engagement bénévole et incitent même leurs employés – notamment les cadres – à s’investir dans ce type de projet pour acquérir des compétences sociales et apprendre la valeur de l’entraide, mais aussi pour se sentir mieux.

Le bénévolat rime-t-il forcément avec gratuité?
Non. En Suisse, on assiste par exemple à une économicisation du volontariat, ce qui est une nouvelle tendance. Cependant, il faut remarquer que pour beaucoup de bénévoles, l’aspect monétaire reste secondaire. Par exemple, au sein de Caritas ou de la Croix-Rouge, il n’est pas rare de voir des volontaires qui refusent le repas gratuit de fin d’année. Ils préfèrent le payer pour ne pas pénaliser les finances de l’association. De plus, beaucoup de jeunes acceptent de faire des stages sans être rémunérés, car ils sont conscients des bénéfices que cette expérience leur apportera.

Comment le bénévolat évolue-t-il dans notre société?
Aujourd’hui, les actions bénévoles sont entreprises pour des motivations individuelles, pour se réaliser soi-même. Par conséquent, les associations doivent prendre en compte les compétences et les envies des personnes qui veulent s’engager. De plus, à cause de la grande mobilité de notre société, on assiste au renforcement d’un bénévolat informel, plus personnel, spontané et peu structuré, qui peut consister à faire les courses pour une personne âgée, par exemple.

Comment les associations peuvent-elles s’adapter à la mobilité grandissante de la population?
En proposant des projets précis pendant une période limitée qui varie de quelques jours à quelques mois. Le volontariat traditionnel qui durait toute une vie et qui était à l’Eglise ou au syndicat disparaît.

Une société sans volontariat est-elle imaginable?
A mon avis, non. On finit tous, un jour ou l’autre, par rendre service à un inconnu qui nous tend la main. Au fond, nous savons qu’il est indispensable de nous entraider.

| mercredi 18 mars |

L’idée de l’utilité publique à l’ère de l’individualisation: les défis organisationnels de l’agir sans but lucratif
18h30 | Uni Mail, salle MR160