Journal n°106

«Les attitudes face aux vaccins sont un miroir de notre société»

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A défaut de pouvoir disposer d’une information claire et objective sur les vaccins, nombreux sont ceux qui hésitent à se faire vacciner. Un échec de la politique de santé publique, selon Claire-Anne Siegrist

Professeure à la Faculté de médecine et cheffe du Centre de vaccinologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), Claire-Anne Siegrist prononcera la leçon d’ouverture du semestre le mardi 15 septembre. Elle s’exprimera sur le sujet auquel elle a consacré sa carrière: la recherche sur les vaccins et la diffusion des connaissances scientifiques à leur sujet. Lauréate 2015 du prix Sciences de la Ville de Genève, Claire-Anne Siegrist a récemment dirigé – avec succès – les tests sur le vaccin le plus prometteur pour lutter contre le virus Ebola. Entretien

Pourquoi estimez-vous que la vaccination relève d’un choix de société?

Claire-Anne Siegrist: Les attitudes de la population face aux vaccins sont un miroir de notre société. Elles peuvent être transposées à toutes sortes d’autres phénomènes tels que les conséquences des comportements individuels sur la collectivité, les craintes face à des dangers hypothétiques ou encore le crédit accordé aux multiples sources d’information vers lesquelles les individus se tournent pour motiver leurs décisions. Le choix de se faire vacciner ou pas pose donc la question de la société dans laquelle nous voulons vivre.

En quoi les comportements individuels en matière de vaccination ont-ils un impact sur la collectivité?

Prenons l’exemple de la rougeole. Le risque de mourir de cette maladie dans les pays riches est devenu très faible, même si pour nous médecins il apparaît encore énorme puisqu’il concerne 1 enfant sur 1000. Mais dans certains pays où les enfants souffrent de malnutrition, ce risque de mortalité est de 1 sur 4! Or en maintenant des épidémies dans nos pays, parce que des gens pensent que la rougeole ne les concerne pas et ne se font pas vacciner, on continue d’exporter régulièrement ce virus dans le monde.

La population est donc insuffisamment informée?

C’est plutôt la difficulté à trouver une information précise et claire qui pose problème, ce qui devrait nous interpeller en tant que société avancée. Mis à part une très petite minorité qui est opposée par principe à l’idée de se faire vacciner et, à l’autre extrême, un groupe également marginal de gens très demandeurs de vaccins, la vaste majorité de la population est soit négligente soit aux prises avec de multiples questions. Les jeunes parents, en particulier, sont confrontés à des sources d’information contradictoires, pris en tenaille entre la propagande des anti-vaccins et les recommandations des autorités sanitaires. Ils essaient alors de se faire une idée par eux-mêmes en surfant sur Internet et en discutant avec leur entourage, sans toujours parvenir à trouver des réponses satisfaisantes.

Il y a donc un énorme travail d’éducation à faire…

Oui, mais les autorités cantonales et fédérales œuvrant dans ce domaine sont dotées de ressources nettement insuffisantes. On dispose aujourd’hui de vaccins efficaces contre les cancers de l’utérus, mais il y a toujours des parents qui choisissent de ne pas faire vacciner leurs filles, alors que les risques sont connus et les vaccins sûrs. Mais les peurs se trompent de cible: les parents craignent davantage que leurs enfants se fassent kidnapper ou abuser, un risque terrifiant mais infime. J’y vois un échec de la santé publique qui n’a pas réussi à amorcer le virage entre le monde d’il y a 50 ou 100 ans – dans lequel le gouvernement pouvait dire ce qu’il fallait faire et toute la population ou presque s’alignait – et le monde d’aujourd’hui marqué par une certaine méfiance vis-à-vis de la science et des autorités. La population devrait pouvoir compter sur des sources d’information claires, objectives et fiables. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Peut-on se satisfaire d’une société où chacun doit passer des heures sur Internet pour se décider pour ou contre un vaccin, quitte à faire courir des risques sérieux à son enfant et à le laisser contaminer son entourage? Est-ce là le prix à payer pour notre liberté individuelle?

Faudrait-il dans certains cas recourir à l’obligation de vacciner?

Non, ce n’est pas une solution, sauf dans des contextes très précis. Je trouve absolument normal, par exemple, que les HUG n’acceptent pas qu’un chirurgien ne soit pas vacciné contre l’hépatite B. Je serais également favorable à des mesures incitatives. Dans le contexte actuel de pénurie de places de crèche, je suis interpellée par le fait qu’un enfant trop jeune pour être vacciné puisse être mis en danger de coqueluche ou de rougeole par des enfants plus grands que leurs parents refusent de faire vacciner. Le privilège de fréquenter une crèche publique ne devrait-il pas impliquer d’éviter à tout prix de faire courir un risque aux autres enfants?

Que faire dès lors pour améliorer la prévention?

Il n’y a aucune solution «clés en main», mais une multitude d’approches. Première étape: travailler avec les personnes concernées, celles qui hésitent, pour identifier pourquoi et quelles informations les aideraient à se décider en faveur de vaccinations qui sont clairement démontrées comme utiles voire nécessaires. Et travailler avec les nouveaux outils, sur les réseaux sociaux en particulier, pour diffuser des messages dans lesquels les personnes concernées peuvent se retrouver.

mardi 15 septembre

Avec ou sans vaccin, un choix de société

Leçon d’ouverture du semestre d’automne par Claire-Anne Siegrist

18h30 | Uni Dufour