Journal n°115

La mort en prison sous l’œil des légistes

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La mort en prison sous l’œil des légistes

A la demande du Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, la professeure Elger, du Centre universitaire romand de médecine légale, a supervisé une recherche ayant abouti à la publication de recommandations pour l’investigation des décès en détention

Tout décès d’un prisonnier est par nature suspect. Le sort des détenus relevant de la responsabilité quasi exclusive des autorités carcérales, le droit international humanitaire rend par conséquent obligatoire, en cas de décès, la mise en place d’une investigation indépendante. Toutefois, ces investigations s’avèrent souvent problématiques, faute de personnel suffisamment formé sur le plan scientifique et juridique. C’est ce qui a conduit des médecins légistes du Comité international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (CICR) à faire appel, en 2008, à des professeurs de l’Université de Genève afin de disposer de données scientifiques sur l’investigation médico-légale des décès en détention. Bernice Elger, médecin et bioéthicienne responsable de l’Unité de droit médical et médecine humanitaire au sein du Centre universitaire romand de médecine légale (lire ci-contre), et Paola Gaeta, juriste spécialiste du droit international humanitaire, ont ainsi supervisé un projet interdisciplinaire à ce sujet. Cette recherche, financée par le Réseau suisse pour les études internationales (SNIS), a abouti, en 2013, à la publication par le CICR de recommandations pour l’investigation des décès en prison* qui font aujourd’hui autorité auprès des acteurs sur le terrain.

Aller au-delà du corps

Les décès en prison peuvent être dus au suicide, la cause la plus fréquente dans les pays développés. On y meurt aussi des suites de la torture ou d’autres formes de traitements inhumains et dégradants. Mais également de mort «naturelle», de maladies qui, dans certains cas, sont le résultat d’un manque d’hygiène ou d’une mauvaise alimentation, ou qui n’ont pas été traitées de manière adéquate.

«Dans chaque cas, explique Bernice Elger, une autopsie est nécessaire. Mais le corps ne dit pas tout et il faut presque toujours aller au-delà, connaître l’état de santé du détenu au moment de son entrée en prison et, surtout, les soins qui lui ont été administrés.» Dans les cas de suicide, par exemple, il s’agit de déterminer si le détenu a eu accès à du personnel médical qualifié pour soigner les troubles psychiatriques. Conformément au principe retenu par la Cour européenne des droits de l’homme, la prise en charge médicale devrait, en effet, être guidée par le principe d’équivalence: un prisonnier doit pouvoir bénéficier des mêmes soins auxquels il aurait eu accès hors de prison.

Favoriser la transparence

«Ce travail d’enquête devrait être soutenu par les autorités carcérales pour favoriser la transparence, souligne Bernice Elger. Il a pour but d’analyser les causes et circonstances du décès, d’identifier d’éventuelles erreurs, afin que celles-ci ne se reproduisent pas, ce qui est dans l’intérêt des établissements pénitentiaires.» Dans certains pays en développement, par exemple, le manque de personnel médical qualifié est endémique, y compris hors du milieu carcéral. De même, les conditions sanitaires globales rendent plus complexe la prévention des maladies, sans parler des contextes de conflits et d’instabilité politique qui rendent l’exercice encore plus périlleux. Il est donc primordial que les instances internationales ou les ONG présentes dans ces pays contribuent à mettre en place des procédures facilitant la tâche du personnel médical et pénitentiaire.

Il est également dans l’intérêt des autorités que les investigations soient conduites de manière indépendante. Dans le cas contraire, les proches des détenus se sentent lésés et sont tentés de poursuivre des actions judiciaires à l’encontre des responsables. L’indépendance des investigations renforce aussi la légitimité des actions entreprises par les établissements pénitentiaires. C’est ainsi qu’à Genève, en cas de mort en prison, les autopsies sont systématiquement pratiquées par des médecins légistes indépendants.

Genève pionnière

Les droits des prisonniers, identiques à ceux de toute personne pour ce qui est des droits humains, ont mis un certain temps avant de faire l’objet d’une attention particulière par les instances internationales. C’est face à l’épidémie de VIH, dans les années 1980, et aux risques qu’elle faisait courir auprès d’une population carcérale particulièrement exposée à la transmission du virus, que les organismes internationaux ont véritablement pris des mesures pour faciliter l’accès aux soins pour les détenus, contribuant ainsi à l’application du principe d’équivalence. Le canton de Genève a joué à cet égard un rôle pilote, en mettant en place dès les années 1980 une législation, complétée par un décret en 2000, relative aux droits des prisonniers et conforme aux recommandations du Conseil de l’Europe.

* Guidelines for Investigating Deaths in Custody, CICR, 2013

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