Journal n°115

Une attitude inamicale nuit à la santé cognitive

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Une personnalité marquée par l’hostilité ou la mauvaise gestion du stress augmente le risque de développer à terme des problèmes de mémoire

Certains traits de personnalité marqués chez de jeunes adultes, en l’occurrence l’hostilité et la mauvaise gestion du stress, sont associés à une diminution significative des fonctions cognitives vingt-cinq ans plus tard. Tel est le résultat d’une étude publiée dans la revue Neurology du 3 mars et signée par Emiliano Albanese, professeur assistant au Département de psychiatrie (Faculté de médecine) et des collègues suisses et américains. Explications.

Vous avez étudié l’effet de deux traits de personnalité sur la fonction cognitive. Pouvez-vous les décrire plus en détail?

Emiliano Albanese: Le premier est l’hostilité, que l’on peut définir comme une méfiance vis-à-vis des autres êtres humains. Ceux-ci sont alors perçus comme une menace – même si cela ne correspond pas à la réalité – contre laquelle il serait légitime de se défendre. Le second est un peu plus ­complexe. Il s’agit de la capacité à faire face aux difficultés objectives ou subjectives de la vie (coping en anglais). C’est un trait a priori positif mais qui devient problématique lorsqu’il est excessif. Certaines personnes sont en effet incapables de se désengager et continuent à faire face à un stress, comme si elles voulaient à tout prix régler ce problème, alors même qu’il est évident qu’elles n’y parviendront pas. En d’autres termes, elles n’arrivent pas à lâcher prise.

Qu’avez-vous découvert chez les personnes présentant ces deux traits de personnalité au début de l’âge adulte?

Nous avons remarqué qu’elles avaient un risque plus grand de développer des problèmes de mémoire ou de raisonnement environ vingt-cinq ans plus tard. Par exemple, lors d’un test au cours duquel il faut retenir une liste de 15 mots, les personnes qui ont montré plus d’hostilité durant leur jeunesse se souviennent, une fois arrivées à un âge moyen de 50 ans, de 0,16 mot de moins que les autres. Ce résultat est encore plus accentué chez les individus ayant eu une réponse inappropriée au stress qui se souviennent de 0,3 mot de moins.

Cet écart ne semble pas très important...

Les différences que nous avons mesurées sont significatives du point de vue statistique mais pas seulement. Quand on a 50 ans, qu’on est au sommet de sa carrière et de ses capacités professionnelles, on ne s’attend pas à avoir des soucis cognitifs. Pourtant, à cet âge, présenter une diminution, même si légère, dans sa capacité à mémoriser un petit nombre de mots représente un facteur de risque très important – et bien connu – de développer une démence plus tard. En d’autres termes, avoir une attitude généralement inamicale ainsi qu’une mauvaise gestion du stress peuvent avoir les mêmes répercussions sur les capacités cognitives à 50 ans que le fait d’avoir dix ans de plus.

Comment avez-vous obtenu ces résultats?

Nous avons exploité les données d’une étude appelée CARDIA (Coronary Artery Risk Development in Young Adults), qui a suivi environ 5000 volontaires entre 1986 et 2012 afin d’évaluer le risque de développer une maladie des artères coronariennes chez les jeunes adultes. Elle contient cependant une foule d’autres renseignements sur les participants dont les résultats à une série de tests cognitifs que nous avons utilisés.

Vos résultats peuvent-ils déboucher sur des traitements ou une prévention de la démence?

Il s’agit d’une étude d’observation. Elle ne démontre pas un lien de cause à effet mais l’existence d’une association marquée. De telles associations entre traits de personnalité et déficiences cognitives ont déjà été étudiées, par exemple chez des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Mais c’est la première fois qu’on l’observe dans une étude aussi longue et, surtout, chez des personnes ne présentant aucun trouble cognitif. Si les liens que nous avons identifiés sont confirmés par d’autres études, nous pourrions alors imaginer des interventions (basées par exemple sur les techniques de thérapie cognitivo-comportementale) visant à promouvoir des inter­actions sociales positives et de bonnes facultés d’adaptation afin d’évaluer leurs effets sur les facultés de raisonnement et de mémoire.