Journal n°119

Portrait d’un humaniste de notre temps

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Lauréat du prix Balzan 2011 et professeur honoraire de la Faculté des lettres, Bronisław Baczko est à l’origine de la rédaction du «Dictionnaire critique de l’utopie au temps des Lumières»

«Bronisław Baczko n’aime pas que l’on parle de lui. Or, face à la modernité de son œuvre, le silence est indécent.» C’est avec cette formule que Michel Porret, son ancien étudiant devenu professeur au Département d’histoire générale (Faculté des lettres), résume la trajectoire de cet intellectuel polonais, historien de la philosophie et spécialiste de la Révolution française et des utopies.

Né à Varsovie le 13 juin 1923, Bronisław Baczko rencontre Rousseau sur une charrette à Varsovie en 1945. Le jeune soldat qu’il est alors déniche, au milieu des livres pillés aux Allemands, une collection de petits ouvrages en cuir regroupant la plupart des œuvres du «citoyen de Genève». Les deux ans qu’il passe ensuite dans un kolkhoze soviétique ainsi que son expérience d’officier dans l’armée formée en URSS par les survivants du Parti communiste polonais aiguisent encore un peu plus son appétit pour la chose politique. En 1952, il obtient un Doctorat ès lettres, avec une thèse sur la société démocratique polonaise. Son diplôme en poche, il commence à enseigner l’histoire de la philosophie à l’Université de Varsovie, où il est nommé professeur en 1966, deux ans après la parution de son premier ouvrage, resté un classique unanimement reconnu: une magistrale monographie sur l’auteur du Contrat social («Rousseau. Solitude et communauté»).

Des auditoires bondés

L’enseignement de Bronisław Baczko, faisant écho aux angoisses de la société polonaise, fait salle comble. Mais en 1968, sous la pression du régime, il est exclu de l’Université. Il quitte alors la Pologne et gagne l’Université de Clermont-Ferrand, en France, fin 1969. Il y enseigne l’histoire des idées jusqu’en 1973, puis, répondant à l’appel du professeur Jean-Claude Favez, il rejoint l’UNIGE en 1974 pour occuper la première chaire européenne d’histoire des mentalités. Grand pédagogue, Bronisław Baczko fascine les étudiants qui, semaine après semaine, emplissent l’aula où Ferdinand de Saussure enseignait jadis. Selon Michel Porret, «nombre d’entre eux doivent aujourd’hui leur autonomie intellectuelle à la disponibilité continuelle de ce professeur généreux».

Avec son complice et ami Jean Starobinski, il fonde et anime le Groupe d’études du XVIIIe siècle. En 1989, Bronisław Baczko est nommé professeur honoraire de la Faculté des lettres avant de recevoir, en 2011, le prix Balzan «pour sa contribution à la réflexion philosophique consacrée à la pensée de Rousseau et à l’étude des conséquences politiques et sociales du mouvement des Lumières sur les événements de la Révolution française», comme le précise la Fondation internationale Balzan.

Questionner la démocratie

«Bronisław Baczko nous offre une œuvre forte à lire, et à relire, pour mesurer notre dette envers les Lumières qui nous rappellent que rien ne remplacera jamais les droits de l’homme comme valeur directrice de la modernité, conclut Michel Porret. Ses préoccupations sont tournées vers le sens contemporain des mots et des choses, vers les enjeux humains du savoir toujours prioritaires pour lui. En une démarche voltairienne – basée sur la critique des préjugés et des sources –, il interroge notre culture démocratique enracinée dans l’imaginaire égalitaire.»

Un foisonnement d’utopies en mille quatre cents feuilles
L’utopie en 2016