Journal n°122

Le génome du sphinx du tabac, ravageur de cultures, a été décrypté

couv

Le papillon «Manduca sexta» est, sous sa forme larvaire, un amateur des cultures de tabac et de pommes de terre. La connaissance de son génome permettra de comprendre comment il parvient à résister à un poison aussi nocif que la nicotine.

«Qui es-tu?» demande d’une voix endormie et traînante la chenille fumeuse de narguilé à l’héroïne d’Alice au pays des merveilles. «Qui es-tu toi-même?» interrogent à leur tour les 114 scientifiques signataires d’un article paru le 12 août dans le journal Insect Biochemistry and Molecular Biology. Et les auteurs, parmi lesquels compte Robert Waterhouse, chercheur au Département de médecine génétique et développement (Faculté de médecine), de fournir une réponse avec la publication du génome complet de Manduca sexta, une chenille qui a peut-être inspiré Lewis Caroll lors de l’écriture de son roman et dont la forme adulte est un papillon connu sous le nom de sphinx du tabac. Cet insecte vit en Amérique où sa larve fait des ravages dans les cultures de tabac, de pommes de terre, de tomates et de poivrons. L’appétit insatiable de la chenille se retrouve d’ailleurs dans son nom, Manduca signifiant glouton en latin. Une caractéristique qui explique aussi comment elle peut atteindre une taille de 10 centimètres et un poids de 10 grammes. Les mensurationss exceptionnelles de ce lépidoptère facilitent sa dissection et la reconnaissance de ses organes, ce qui en fait un excellent modèle de laboratoire. Facile à élever, l’insecte est ainsi utilisé depuis une quarantaine d’années pour des expériences biochimiques et physiologiques. Jusqu'à présent, ces études en laboratoire ont permis d’effectuer des avancées notables dans de nombreux domaines tels le développement animal et la métamorphose des insectes, les fonctions du système immunitaire et leur rôle dans les interactions avec les agents pathogènes ou les parasites, la chimie mise en œuvre dans la lutte entre les insectes nuisibles et les plantes sur lesquels ils se nourrissent, etc.

Six cents nouveaux gènes

Le séquençage et l’annotation du génome entier du sphinx du tabac permettent désormais aux chercheurs d’identifier les composants génétiques qui se trouvent à la base des processus biologiques qu’ils étudient depuis des années. Rien que dans le domaine du système immunitaire, les chercheurs ont ainsi mis en évidence 600 nouveaux gènes impliqués dans les phénomènes de défense contre certains pathogènes. En tout, Manduca sexta compte 15 451 gènes. Il n’est pas le premier lépidoptère (un ordre qui compte tout de même plus de 150 000 espèces) à voir son génome séquencé. Avant lui, le ver à soie (Bombyx mori), les papillons Danaus plexippus, Heliconius melpomene, Melitaea cinxia, Papilio glaucus, Plutella xylostella et Spodoptera frugiperda ont connu le même sort. «Une des curiosités du génome de ces animaux est que l’ordre des gènes est préservé entre les différentes espèces de papillons, ce qui n’est pas du tout le cas chez les autres insectes, commente Robert Waterhouse. Cette particularité est peut-être due aux propriétés structurelles spéciales des chromosomes de ces lépidoptères.» Le sphinx du tabac appartient à la même super famille que le ver à soie (les Bombycoidea), ce qui aurait pu constituer un obstacle à la mobilisation de tant d’efforts pour le décryptage de son génome. Mais la biologie des deux espèces diffère radicalement. Le second est en effet un insecte domestiqué se nourrissant exclusivement de feuilles de mûres tandis que le premier est un animal sauvage se repaissant de plusieurs espèces de solanacées.

Résistance à la nicotine

Ce régime alimentaire a d’ailleurs poussé Manduca sexta à trouver des solutions physiologiques pour tolérer des substances chimiques toxiques dont la nicotine. Autre particularité: le sphinx du tabac représente une cible de choix pour la guêpe parasitoïde Cotesia congregata qui pond ses œufs dans la larve, ce qui entraîne sa mort. Un phénomène qui est utilisé comme lutte biologique pour contrôler ce ravageur et préserver les cultures.