Journal n°73

L’arrivée des «Moocs» bouscule l’enseignement universitaire

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Dès cet automne, l’Université de Genève proposera quatre «cours de masse en ligne et gratuits» («MOOCs») sur la plateforme Coursera. En quelques semaines, l’offre a déjà attiré 10 000 inscriptions

L’Université de Genève a officiellement rejoint l’univers des «MOOCs» le 21 février dernier. Ces «massive open online courses» (cours de masse en ligne et gratuits) répondent à un principe aussi simple que généreux: mettre à la portée de tous les cours des meilleures universités du monde, avec des exigences aussi élevées que pour les étudiants réguliers en termes de suivi et d’évaluation. Résultat: trois jours après leur lancement, les quatre cours proposés dès cet automne par l’UNIGE (lire article) attiraient déjà plus de 3000 inscriptions. Le cap des 10000 participants sera vraisemblablement franchi au moment où ces lignes seront publiées.

Etudiants par millions
L’histoire des «MOOCs» commence en août 2011, lorsque trois informaticiens de l’Université de Stanford, Sebastian Thrun, Daphnée Koller et Andrew Ng décident de mettre en ligne trois cours d’informatique. Un simple courriel adressé à une poignée de collègues met le feu aux poudres. En l’espace d’une nuit, 5000 personnes s’inscrivent. Une année et demie plus tard, les trois plateformes lancées dans la foulée – Udacity, Coursera et edX – comptabilisent plusieurs millions d’inscrits. Coursera, fondé par Daphnée Koller et Andrew Ng, a établi des partenariats avec 69 universités, dont l’EPFL et l’UNIGE, et propose plus de 300 cours, en cinq langues (anglais, espagnol, français, chinois et italien) dans tous les domaines des sciences humaines et des sciences naturelles.
Il va de soi que l’Université de Genève ne pouvait pas manquer de se positionner dans ce courant, dont on peut tout dire sauf qu’il est anodin. En dépit des difficultés liées aux questions de certification, d’authentification des participants et à un taux d’abandon de près de 80% actuellement, le phénomène «MOOCs» a rapidement capté l’attention des universitaires et des médias internationaux, suscitant les commentaires les plus enthousiastes, quant à son potentiel pour démocratiser le savoir et démultiplier la capacité d’innovation. Il a aussi suscité les réactions les plus alarmistes sur les risques d’uniformisation des connaissances scientifiques qu’il pourrait représenter. Dans tous les cas, les universités ont de bonnes raisons de prendre la chose au sérieux.
«C’est une évolution qui va inciter les universités à remettre l’enseignement au centre de leurs préoccupations, ce qui est une bonne chose», résume Jean-Dominique Vassalli, recteur de l’UNIGE. En effet, les «MOOCs» vont certainement renforcer, au niveau académique, un phénomène déjà observé sur le plan éducatif en général: avec Internet et les moteurs de recherche, l’accent n’est plus tellement mis sur la quantité de connaissances acquises mais sur la capacité à les discuter et à les mettre en perspective avec d’autres disciplines. De fait, la vraie valeur ajoutée des «MOOCs» tient à tout ce qui se passe autour des cours et notamment les forums fournis par les plateformes sur lesquels les apprenants se regroupent en communautés afin de s’entraider et d’évaluer leurs connaissances. Ainsi des participants turcs se retrouveront peut-être une fois par semaine dans un café à Istanbul pour discuter d’un cours suivi sur un «MOOC» ou traduire celui-ci à l’intention du public non anglophone.
En dématérialisant une partie de leurs cours ex cathedra, «les universités seront amenées à mieux mettre en valeur tout ce que le présentiel peut apporter, ajoute Jean-Dominique Vassalli. Les étudiants seront invités à suivre un cours en ligne, puis se retrouveront en classe avec l’enseignant pour tester leur capacité à utiliser ce qu’ils ont appris. Le repositionnement de ce qui va rester dans les universités, par opposition à l’offre en ligne, sera donc critique pour la survie de ces institutions.» Le nombre élevé de participants ouvre par ailleurs la voie à davantage d’expérimentation sur le plan pédagogique. Il sera plus aisé, pour l’enseignant, de mesurer l’impact de telle ou telle manière de diffuser les connaissances.

Enrichir le débat d’idées
En permettant à des publics très variés d’accéder à l’enseignement universitaire, les «MOOCs» offrent également la perspective d’enrichir le débat d’idées entre des personnes d’âges et de provenances géographiques très différents. A cet égard, loin d’aboutir à une uniformisation de la pensée, ils pourraient contribuer à diversifier la manière d’aborder et de diffuser les connaissances scientifiques. C’est ce dont témoigne, par exemple, l’expérience de ce professeur de l’Université de Princeton aux Etats-Unis qui, au contact d’étudiants d’autres cultures, remodèle son cours jusque-là très formaté à l’américaine.
Sur la question de l’évaluation, enfin, les universités vont probablement rester pour un moment dépositaires de la certification. «Du moins aussi longtemps que les diplômes resteront un critère pour les employeurs», précise Jean-Dominique Vassalli.


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