Journal n°73

Du médecin de brousse à la santé globale

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Directeur du Département de radiologie et informatique médicale, Antoine Geissbuhler pratique le cyber-enseignement depuis une dizaine d’années dans le cadre du réseau RAFT. Une expertise qu’il mettra à profit durant un «MOOC» en santé globale. Entretien

L’Université proposera dès l’automne prochain un «Massive Open Online Course» («MOOC») en santé globale. Pourquoi ce choix?
Antoine Geissbuhler: Pour faire notre place sur un marché qui va devenir très compétitif, nous devons mettre en avant nos spécificités. Dans l’optique de la santé globale, les défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui ne peuvent plus être résolus au niveau d’un pays ou d’une seule discipline, mais au travers d’une approche transnationale et transdisciplinaire. Or, de ce point de vue, notre Université est bien profilée, d’une part, grâce à sa vocation généraliste et, de l’autre, par la présence de nombreuses organisations internationales et non gouvernementales à Genève.

Avez-vous déjà une idée de la manière dont ce «MOOC» sera construit?
Contrairement à la plupart des cours de ce genre qui existent actuellement, le «MOOC» en santé globale ne sera pas dispensé par un seul enseignant, mais par des intervenants issus de différentes facultés qui présenteront un kaléidoscope des problématiques liées à la santé globale. Compte tenu du public visé, le cours sera d’abord proposé en anglais, mais nous envisageons une traduction française à moyen terme. Pour être convaincant, l’ensemble devra être de très grande qualité, notamment sur le plan des contenus où nous allons jouer à fond la carte du «swiss made».

Lancé en 2000, le Réseau en Afrique francophone pour la télémédecine (RAFT) vous a permis d’acquérir une solide expérience en matière d’enseignement à distance. Pouvez-vous en rappeler les principaux objectifs?
RAFT vise à rompre l’isolement des professionnels de la santé exerçant dans des régions périphériques où ils ne peuvent ni se perfectionner ni consulter des spécialistes. Il offre des modules de formation continue sur des thématiques comme les maladies chroniques qui, en Afrique notamment, deviennent un souci majeur. Le RAFT permet aussi aux «médecins de brousse», qui vivent souvent loin de leur famille, de créer des liens sociaux et de cultiver le sentiment d’appartenir à une communauté.

Ce savoir-faire est-il directement transposable aux «MOOCs»?
Pas intégralement. Les «MOOCs» s’adressent à un public relativement homogène, qui dispose d’un accès internet à haut débit et qui recherche des connaissances essentiellement techniques. Le modèle est celui d’une grande université qui dispense un savoir de référence au reste du monde. Il y a là un potentiel énorme, ne serait-ce que pour combler les nombreux cours qui sont orphelins, notamment en Afrique, faute de professeur. Cependant, la logique de RAFT est différente.

En quoi?
L’UNIGE fournit l’environnement informatique et organisationnel du projet et les cours sont dispensés via un de ses serveurs. Mais 80% des contenus pédagogiques sont produits depuis l’Afrique pour l’Afrique. Nous avons dû batailler pour imposer cette idée car, au départ, les médecins africains auxquels nous nous adressions voulaient plutôt que le savoir vienne du Nord. Avec le recul, le résultat montre toutefois que cela valait la peine.

Pourquoi?
En Afrique, il y encore beaucoup de déférence vis-à-vis de l’enseignant. Il y a donc peu d’échange et de débat avec les étudiants. Avec le RAFT, les connaissances sont mises en perspective et discutées entre professionnels dans une logique de co-apprentissage.

Autre différence de taille, vous avez dû vous adapter à un public qui dispose d’un accès souvent limité à Internet?
Un médecin dans un hôpital de brousse doit parfois se rendre dans un cybercafé pour suivre le cours en payant son heure de connexion. Si la bande passante n’est pas suffisante, il décrochera rapidement. Nous avons donc privilégié un système très peu gourmand de ce point de vue tout en veillant à ne pas sacrifier l’essentiel.

C’est-à-dire?
L’intérêt de RAFT, c’est aussi la communauté qui se crée autour. Le seul élément visuel de nos cours est une petite vignette dans laquelle on voit la personne qui s’exprime. Or, cette vignette utilise des ressources et nous avons pensé la supprimer. Cela a soulevé un tollé parmi les participants pour qui le sentiment d’appartenir à une communauté est une source de motivation essentielle. Aujourd’hui, RAFT rassemble chaque semaine un millier de personnes autour d’un même cours. Demain, avec les «MOOCs», on verra apparaître des communautés comptant des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes.


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