Journal n°81

Les pères du boson de Higgs reçoivent le Nobel grâce au CERN

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La distinction la plus prestigieuse en physique récompense François Englert et Peter Higgs, qui ont formulé en 1964 la théorie dont a été déduite l’existence de la fameuse particule

Les physiciens François Englert et Peter Higgs ont reçu le prix Nobel de physique 2013 pour avoir imaginé l’existence d’une particule connue aujourd’hui sous le nom de boson de Higgs. Elaborée de manière indépendante dans les années 1960 et permettant d’expliquer l’existence des masses des particules élémentaires, leur théorie a été primée une année après avoir été confirmée expérimentalement au CERN, grâce au collisionneur LHC. Giuseppe Iacobucci, professeur au Département de physique nucléaire et corpusculaire (Sciences) et membre du groupe ATLAS, un des détecteurs géants montés sur l’accélérateur de particules, a vécu cette aventure de près.

Le Journal: Quel est votre sentiment quant à l’attribution du prix Nobel de physique 2013?
Giuseppe Iacobucci
: Je suis ravi que François Englert et Peter Higgs aient été primés. Ils le méritent largement. Il existait plusieurs théories rivales pour expliquer les masses des particules. La leur était la bonne.

De quelle façon le boson octroie-t-il une masse aux autres particules?
Le boson de Higgs est la manifestation de l’existence d’une entité plus vaste: le «champ» de Higgs. Ce dernier baigne tout l’Univers et donc aussi notre environnement. Les particules élémentaires, notamment celles dont nous sommes constitués, interagissent avec ce champ rempli d’innombrables bosons de Higgs et le traversent avec une facilité variable, comme si elles circulaient dans de la mélasse. C’est l’interaction plus ou moins forte des particules élémentaires avec ce champ qui leur donne (y compris au boson de Higgs) une masse plus ou moins importante. On appelle cela le mécanisme de Brout-Englert-Higgs. Robert Brout, aujourd’hui décédé, était le collaborateur de François Englert.

Pourquoi a-t-on parlé de particule «suprême»?
C’est probablement dû à son rôle particulier dans la théorie ainsi qu’au fait que, dans le «Modèle standard» qui décrit la physique de toutes les forces sauf celle de la gravitation, toutes les particules avaient été découvertes à l’exception du boson de Higgs qui n’était jusqu’à récemment qu’une hypothèse.

Une théorie n’est qu’une théorie tant qu’elle n’est pas confirmée par l’expérience. Englert et Higgs doivent une fière chandelle au travail effectué au CERN…
Une découverte comme celle du boson de Higgs est le résultat d’un travail de longue haleine et auquel ont participé des milliers de personnes: les théoriciens, bien sûr, mais aussi les techniciens et les ingénieurs du CERN ainsi que les collaborateurs des deux expériences installées sur le LHC (ATLAS et CMS). La théorie est née en 1964 et les discussions autour de la construction du LHC, conçu pour détecter le Higgs, ont démarré dans les années 1980. Trente ans et 6 milliards d’euros plus tard, les efforts ont payé. La nouvelle a été annoncée une première fois en juillet 2012 puis confirmée en mars 2013 lorsque la précision statistique a été suffisante pour répondre aux critères stricts d’une découverte en physique des hautes énergies.

Etes-vous sûr d’avoir trouvé la bonne particule?
Oui. En provoquant des collisions très énergétiques entre protons, le LHC crée les conditions nécessaires à l’apparition du boson de Higgs. Ce dernier se désintègre alors immédiatement en particules secondaires. Ce sont ces dernières qui sont détectées par ATLAS et CMS. Il existe plusieurs modes de désintégration possibles prévus par la théorie. Tous ont été identifiés. Il n’y a plus aucun doute sur l’identité de la particule.

Maintenant que vous l’avez «vu», que reste-t-il à faire?
Nous devons d’abord étudier le boson sous toutes ses coutures. Le LHC, qui a fonctionné à la moitié de sa puissance nominale et qui devrait atteindre le maximum de ses capacités en 2015, est censé fournir encore beaucoup d’informations sur son sujet, notamment sur la valeur de son spin et d’autres propriétés quantiques. Il se pourrait aussi qu’il soit le membre le plus «léger» d’une grande famille de bosons qui n’attend qu’à être découverte. Ensuite, à la fois pour poursuivre l’étude du boson de Higgs et pour découvrir de nouvelles particules, il existe plusieurs projets d’accélérateurs, linéaires et circulaires. L’un d’eux pourrait être un tube de 100 km de circonférence (contre 27 km pour le LHC) creusé sous le Léman et le Jura…

Que pourrait-on découvrir de plus?
Il existe de nombreuses théories alternatives qui tentent d’expliquer la physique des particules au-delà du Modèle standard, notamment pour élucider des mystères comme celui de la présence de matière noire dans l’Univers, une matière dont on ignore encore tout mais dont l’existence est indispensable pour comprendre, par exemple, le mouvement des bras à spirales des galaxies. Ces théories, comme celle baptisée supersymétrie, prévoient l’existence de nouvelles particules. Le LHC – ou ses successeurs – est conçu pour les découvrir. Si elles existent, bien sûr.

Quelle est la contribution de l’Université de Genève à la chasse au boson de Higgs?
Notre groupe, qui était dirigé avant moi par le professeur Allan Clark, a participé à l’expérience ATLAS dès sa conception. Il a contribué à la construction de plusieurs éléments essentiels du détecteur dont le grand aimant toroïdal, l’électronique du calorimètre à argon liquide, le système électronique de pré-sélection d’événements et, surtout, le détecteur en silicium de particules chargées. Nous avons également participé à l’analyse des données produites par ATLAS.