Journal n°86

Quand les arts aident les peuples à se réconcilier dans la durée

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La nouvelle chaire Unesco en droit international de la protection des biens culturels organise un cycle de cinq conférences sur «Le patrimoine culturel de l’humanité: un outil pour la paix»

En 2012, l’UNIGE inaugurait sa chaire Unesco en droit international de la protection des biens culturels, dirigée par le professeur Marc-André Renold. Deux ans plus tard, celle-ci a trouvé son rythme de croisière et propose, en collaboration avec Metin Arditi, ambassadeur de bonne volonté de l’Unesco, un cycle de conférences visant à susciter une réflexion autour du pouvoir pacificateur du patrimoine culturel de l’humanité. Explications avec Metin Arditi.

Quel rôle l’art peut-il jouer dans les processus de paix?
Metin Arditi
: Le processus de paix est un phénomène complexe, souvent insaisissable. Il est d’abord l’affaire des dirigeants politiques et militaires. Un traité de paix, c’est une signature. Mais pour que la paix puisse s’installer dans la durée, la réconciliation est une condition incontournable. Et il n’y a pas de réconciliation possible sans la dignité retrouvée. Pour tous. C’est sur ce plan que l’art peut participer au processus. Il y a des traités de paix qui ne débouchent sur rien d’autre qu’une nouvelle guerre…

A l’exemple du conflit franco-allemand?
Trois guerres en moins de 70 ans… En 1870, 1914 et 1939. Pourquoi cela? La première guerre et la perte par la France de l’Alsace-Lorraine ont engendré un sentiment de frustration chez les Français, ce qui a contribué à l’échec du pacifisme et à l’entrée du pays dans la Première Guerre mondiale. La guerre de 14-18, ensuite, s’est soldée par une victoire des Alliés, et par l’humiliation de l’Allemagne, lors du Traité de Versailles de 1919. Alors même que la paix régnait en Europe, il ne pouvait pas y avoir de réconciliation.

Pourquoi?
La première humiliation en a entraîné une deuxième et cela a mené aux conséquences que l’on connaît: la Seconde Guerre mondiale. Après 1945, il a fallu deux hommes pour redonner à chaque peuple un sens de la dignité: Charles de Gaulle et Konrad Adenauer. L’indignité n’est pas seulement le lot du vaincu. C’est aussi celui du vainqueur qui a choisi, pour gagner, de perpétrer des actes innommables.

Comment ramener la dignité?
Parfois la dignité est retrouvée par le biais d’événements inattendus. Ainsi durant l’été 1999, de terribles tremblements de terre de part et d’autre de la frontière gréco-turque amenèrent soudainement les deux peuples à se voir comme des frères soudés dans l’adversité, malgré quatre siècles d’hostilités. On a assisté à de nombreux mouvements de sympathie et d’aide mutuelle entre les deux pays. Dans la sphère artistique, des spectacles ont vu le jour dans lesquels des Grecs chantaient des chansons turques. Cela a été des moments très fort durant lesquels l’art et la culture ont joué un rôle capital.

L’émotion artistique permet-elle de révéler son humanité?
Il est indispensable de laisser la raison de côté quand on parle de dignité. L’art est un vecteur de découverte de nos émotions, de nos forces et faiblesses. Sa grande ruse est d’être un processus de compréhension de soi très efficace, plus doux qu’une psychanalyse. L’art permet de mieux comprendre nos émotions. Sa pratique est irremplaçable.

L’art est donc un outil pacificateur?
La découverte de nos émotions et leur compréhension mènent à l’acceptation de soi, une étape indispensable pour pouvoir accéder à celle de l’autre. C’est également une parenthèse de beauté, durant laquelle on retrouve le goût des belles choses, on s’y plonge pour sortir de son quotidien. Ces plages de répit sont nécessaires pour rebâtir une dignité. C’est ensuite seulement qu’un vrai dialogue peut s’établir avec l’autre, le voisin comme l’étranger.

Vous êtes le codirecteur de la fondation Les instruments de la Paix-Genève qui favorise l’éducation musicale auprès d’enfants de Palestine et d’Israël. Comment se manifeste cette reconquête de la dignité dans ce contexte?
Je le vois concrètement dans les yeux des enfants qui jouent de la musique: ils sont fiers d’eux.


|du 4 mars au 27 mai |
Le patrimoine culturel de l’humanité: un outil pour la paix
Cycle de conférences ‒ chaire Unesco