Journal n°90

Comment rendre ses lettres de noblesse au médecin de famille

Pour pallier la pénurie annoncée de médecins généralistes en Suisse, la Faculté de médecine se démène afin que cette spécialité soit désormais plus attrayante aux yeux des étudiants

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Et si, demain, vous n’aviez plus de médecin de famille? Plus de pédiatre pour vos enfants? Plus personne pour soigner votre toux? Selon les estimations des spécialistes, il pourrait manquer 1800 médecins généralistes en Suisse en 2030. A l’occasion de la prochaine votation autour des soins médicaux de base, Johanna Sommer, responsable de l’Unité de médecine de premier recours (internistes généralistes et pédiatres) de la Faculté de médecine, dresse un tableau de la situation.

Comment devient-on médecin de famille aujourd’hui?
Johanna Sommer:
Les études sont structurées de manière identique quelle que soit la spécialité choisie: après un Bachelor en médecine humaine (3 ans) et un Master dans la même discipline (3 ans), la spécialisation exige quatre à cinq années de formation postgraduée supplémentaires. Dans le cas de la médecine de premier recours ou médecine de famille, le cursus de spécialisation dépend du type de lieu où l’on souhaite exercer. Si le futur médecin envisage une pratique en ville, il n’aura pas besoin d’approfondir la gynécologie ou la pédiatrie, les femmes et les enfants étant suivis par ces spécialistes. Il en sera différemment s’il envisage d’exercer en campagne.

Pourquoi prédit-on une pénurie?
Il y a 50 ans en Suisse, il y avait 60% de médecins de premier recours contre 40% de spécialistes. Aujourd’hui, la proportion est inversée. Et la grande majorité des médecins généralistes actuels atteindront bientôt l’âge de la retraite. Du côté de la relève, seuls 10 à 20% des étudiants en médecine se dirigent vers la médecine de premier recours. C’est trop peu.

Comment expliquer cette érosion?
Plusieurs facteurs sont en cause. En premier lieu, la discipline souffre d’une mauvaise image. Par le passé, on pensait qu’un médecin restait généraliste parce qu’il n’était pas assez bon pour devenir spécialiste, ce qui est encore vrai dans certains pays. La rémunération plus faible joue aussi un rôle, tout comme le développement des nouvelles technologies qui rendent les spécialités plus attractives. L’un des plus importants problèmes reste toutefois le phénomène d’identification. La formation des étudiants est aujourd’hui assurée essentiellement par des spécialistes, en milieu universitaire où il n’y a pas de généralistes.

Quelles sont les mesures mises en place pour favoriser le choix de la médecine de premier recours?
Dès 2015, des cours de médecine interne générale seront dispensés durant les trois premières années de formation et un stage d’un mois en cabinet sera inscrit au cursus de tous les étudiants. Par ailleurs, des fonds ont été alloués pour développer la recherche et des postes de professeur pour un médecin de premier recours sont prévus dans chaque université suisse. En outre, des actions spécifiques sont menées auprès du public pour rappeler que les médecins de premier recours résolvent 90% des problèmes de santé de la population: stand au Salon du livre, atelier ludique autour de la médecine de famille pour les collégiens en visite à l’UNIGE ou encore des programmes de santé pour les écoliers intégrant un personnage de bande dessinée – un médecin de famille – qui apparaît pour résoudre les problématiques autour du sommeil, du diabète ou de l’alimentation.

On parle du retour du numerus clausus, pourquoi ne pas augmenter les effectifs?
Former un médecin coûte très cher. Le nombre de places à disposition est limité afin d’assurer la qualité de la formation. On augmente peu à peu les effectifs en favorisant par exemple la collaboration avec les hôpitaux périphériques pour pouvoir proposer davantage de centres de formation.

Le texte de la votation du 18 mai prévoit que la Confédération légifère sur la rémunération des médecins de famille. Est-ce déterminant?
Il est vrai que du point de vue de la longueur de la formation, de l’ampleur de la responsabilité à assumer et de l’investissement demandé, le métier est plutôt mal doté comparativement à d’autres spécialités. Toutefois, le salaire reste correct et la valeur ajoutée de la formation est élevée: variété du métier, longitudinalité du suivi des patients, globalité de la prise en charge, etc. Et d’ailleurs, les enquêtes réalisées auprès des étudiants ont montré que le facteur financier n’avait que peu d’impact dans le choix de la spécialité.

Et si le texte était accepté, qu’est-ce que cela pourrait changer?
Il inscrirait l’accès aux soins de base dans la Constitution. C’est une valorisation de notre métier tant du point de vue politique que social. Le peuple doit décider quelle médecine il souhaite pour demain.


| Pour en savoir plus |

Médecins de famille: comment éviter la pénurie ? - Sujet RTS (Infrarouge du 19 février 2014)