Journal n°91

Comment mondialiser une bonne idée

Coordinateur du Programme de sécurité des patients au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Edward Kelley a collaboré avec le professeur Didier Pittet (lire ci-dessus) dans le cadre de la campagne mondiale en faveur de l’hygiène des mains. Entretien

Comment expliquer qu’il ait fallu attendre si longtemps pour promouvoir l’hygiène systématique des mains dans les hôpitaux?

Edward Kelley: Cela exige de mettre en place un système de supervision et d’investir d’importantes ressources. Il faut évaluer le niveau des infections – donc disposer d’un laboratoire d’analyses –, observer la pratique du personnel soignant. Et tout cela prend du temps. La direction des hôpitaux considère généralement que ce n’est pas une priorité. Enfin, le facteur humain doit être pris en compte. Il est en effet très difficile de changer le comportement des gens, même pour une bonne raison.

Quel a été l’élément qui a incité l’OMS à s’impliquer dans la promotion de l’hygiène des mains?

Les premières études que nous avons réalisées en collaboration avec Didier Pittet nous ont permis de constater que, globalement, moins de 40% des infirmiers et médecins respectaient les consignes d’hygiène. Ces résultats ont été un choc. Ils nous ont incités à nous engager dans un effort global de promotion.

Dans cet effort, quel a été le rôle joué par la solution hydro-alcoolique?

Dans de nombreuses régions où travaille l’OMS, la qualité de l’eau n’est pas assurée, ce qui représente un énorme obstacle lorsqu’il s’agit de promouvoir l’hygiène des mains. De ce point de vue, la solution hydro-alcoolique constitue une réponse parfaitement adaptée, puisqu’elle remplace l’eau et qu’elle est, par ailleurs, très peu onéreuse.

Comment avez-vous procédé pour convaincre les décideurs?

Nous avons couvert tous les échelons du secteur de la santé, en impliquant les ministres et les acteurs locaux. Parallèlement, nous avons fait un important travail sur le terrain. Avec l’aide de Didier Pittet, nous avons mis en place des ateliers pour promouvoir la fabrication locale de solutions hydro-alcooliques. Cet effort de formation s’est ensuite propagé selon un axe Sud-Sud. Des soignants du Mali ont formé des collègues sénégalais et ainsi de suite. Je tiens à souligner que Didier Pittet y a mis toute son énergie. C’est la campagne la plus rapidement mise sur pied que j’ai jamais vue à l’OMS.

Une dizaine d’années après le lancement de cette campagne, peut-on évaluer son impact?

Cent trente-et-un pays sont officiellement engagés dans cette voie. Une quarantaine d’autres le sont de manière encore non officielle. Malheureusement, il est difficile d’obtenir des statistiques dans le domaine des infections nosocomiales, car de nombreux pays sont dans l’incapacité de fournir des chiffres fiables. Dans les pays disposant de données, comme en Europe ou en Amérique du Nord, on observe toutefois que le comportement des soignants a beaucoup changé ces dernières années. Mais c’est un travail sans fin, car le personnel des hôpitaux se renouvelle constamment. Un collègue américain travaillant sur les infections nosocomiales disait que promouvoir l’hygiène des mains s’apparentait à vouloir repeindre le Golden Gate Bridge à San Fancisco. Le pont est tellement long que lorsque vous avez terminé, il faut revenir au point de départ, car entre-temps la peinture s’est déjà écaillée.

Didier Pittet n’a pas souhaité faire breveter son innovation. Quelle est la position de l’OMS à ce sujet?

L’OMS est très impliquée dans le débat sur le brevetage des médicaments. C’est un sujet de discussion quasi quotidien au sein de l’organisation. Nous sommes financés par l’argent des contribuables de chaque pays membre. Nous avons par conséquent vocation à fournir des produits, des rapports et des services ouverts au public. La question de breveter les solutions hydro-alcooliques ne s’est donc même pas posée. Cela étant, nous ne sommes pas les seuls à proposer de telles solutions. L’industrie pharmaceutique développe ses propres produits. Nous sommes habituellement peu enclins à collaborer avec le secteur privé, mais dans le cas des solutions hydro-alcooliques, nous avons créé une plateforme, Private Organization for Patient Safety, qui inclut tous les grands fabricants. Nous partageons un même objectif, qui est de rendre le produit plus efficace face à certaines formes d’infections, sans pour autant augmenter sa toxicité pour la peau.


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