Journal n°135

Le premier grand communicateur de la période moderne

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Martin Luther en 1528 par Lucas Cranach l’Ancien

Lorsqu’il rend publiques ses 95 thèses, le 31 octobre 1517, Martin Luther a 34 ans. À l’exception de ses proches collègues et étudiants théologiens de l’Université de Wittenberg, très peu de monde a entendu parler de lui. Trois ans plus tard, il est une célébrité dans toute l’Allemagne et en Europe centrale, fer de lance du mouvement réformateur. Comment expliquer une telle ascension en plein XVIe siècle? Par un climat de renouveau intellectuel, auquel Luther doit beaucoup, mais aussi par sa capacité exceptionnelle à faire entendre sa voix et à communiquer ses idées.

Les thèses portent principalement sur l’utilisation abusive des indulgences, devenues à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance une véritable économie au profit de l’Église et des banques, qui fleurissent alors en Europe. En achetant des indulgences, les paroissiens pécheurs rachètent le prix de leur pénitence, en monnayant des années de rabais sur leur séjour au purgatoire. Aux yeux de nombreux théologiens, cette pratique est immorale.

Une enquête papale pour hérésie est menée. Luther en ressent une profonde injustice. Il pense encore à cette date pouvoir sauver l’Église de ses dérives.

Plutôt que de répondre à Luther, qui lui a envoyé ses thèses, l’archevêque de Mayence, l’une des plus hautes autorités ecclésiastiques d’Allemagne, transmet ses écrits à Rome pour un examen théologique, avec pour conséquence une enquête papale pour hérésie. Luther en ressent une profonde injustice. Il pense encore à cette date pouvoir sauver l’Église de ses dérives.

En 1521, le moine de Wittenberg finit par être excommunié. Entre-temps il s’est distingué en brûlant en public la bulle papale prononcée à son encontre ainsi que le droit canonique de l’Église.

Dans la foulée, le nouvel empereur Charles Quint le convoque devant la Diète de Worms. Face aux plus grands dignitaires de l’Empire, il fait preuve d’un courage et d’une effronterie sans égal, refusant de se rétracter. Cet épisode fera beaucoup pour assurer la célébrité de Luther et la vigueur du mouvement réformateur.

Amateur de bière à ses heures, Luther cultive l’image d’un homme proche du peuple

La Diète le condamne et il est mis au ban de l’Empire, signifiant qu’il peut être mis à mort par quiconque impunément. Durant son retour à Wittenberg, Luther est «kidnappé» sur les ordres de son protecteur, le prince-électeur de Saxe, et emmené au château de la Wartburg, près d’Eisenach. Il y demeure caché durant dix mois, qu’il met à profit pour traduire le Nouveau Testament en allemand. Pendant ce temps, la Réforme se répand, quitte à échapper à son contrôle, en Allemagne du Sud et en Suisse.

L’épisode de l’affichage effectif des thèses reste controversé. En revanche, il ne fait pas de doute que Luther maîtrisait l’art de la mise en scène. Doté d’un grand charisme et d’un indéniable sens de l’humour, amateur de bière à ses heures, il cultive l’image d’un homme proche du peuple. Dans un contexte marqué par l’essor de l’imprimerie, de l’éducation et des publications en langue vernaculaire qui popularisent le savoir et influencent ce qu’on appellera plus tard l’«opinion publique», Luther apparaît ainsi comme l’un des premiers grands communicateurs de l’époque moderne. —